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tous les artifices que la société pourrait lui enseigner, assurément on ne vous blâmera pas de lui conserver cette adorable simplicité, qui fait son plus grand charme. Elle ira bien assez dans le monde, quand elle sera lady Vargrave.

— Mais si elle se décidait à n’être jamais lady Vargrave ? »

Lumley tressaillit, se mordit la lèvre et fronça le sourcil. C’était la première fois que lady Vargrave apercevait sur son visage la sinistre expression qui s’y lisait en ce moment. En voyant le regard de la veuve fixé sur lui, il se remit promptement, et dit avec un sourire forcé :

« Pouvez-vous prévoir un événement aussi fatal à mon bonheur, aussi inattendu, aussi contraire au désir de mon pauvre oncle, que le serait l’opposition d’Éveline à une union projetée depuis tant d’années, et sanctionnée avec tant de solennité dans son enfance ?

— Il faut qu’elle se décide par elle-même, dit lady Vargrave. Votre oncle a soigneusement distingué entre un désir de sa part et un ordre. Le cœur d’Éveline est encore intact. Si elle peut vous aimer, puissiez-vous mériter son affection.

— J’y mettrai tous mes soins. Mais pourquoi s’éloigner ainsi du toit maternel, précisément au moment où nous devions nous voir plus souvent ? Il est impossible que vous ayez le projet de nous séparer ?

— Je craindrais, lord Vargrave, que si Éveline restait ici, elle ne prît une décision qui vous fût contraire. J’ai peur que, si vous la pressez en ce moment, elle n’en vienne à cette résolution prématurée. Peut-être cela provient-il d’un trop grand attachement pour le séjour où elle a été élevée et pour moi, peut-être même une courte absence la réconciliera-t-elle avec l’idée d’une séparation permanente. »

Vargrave ne put en dire davantage, car en ce moment Caroline et mistress Merton vinrent les rejoindre. Mais il était tout changé de manières, et ne put retrouver sa gaîté de la veille.

Pourtant, lorsqu’il eut eu le temps d’y réfléchir, il réussit à prendre son parti du voyage d’Éveline. Il sentait qu’il lui était facile d’acquérir l’amitié de la famille Merton ; et cette amitié pouvait lui être plus utile que la neutralité adoptée par lady Vargrave. On l’inviterait infailliblement à venir au presbytère, qui se trouvait bien plus rapproché de Londres que le cottage de lady Vargrave, il pourrait donc quitter plus souvent ses occupations publiques, pour surveiller ses intérêts privés. Une société de province, surtout dans cette