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cria Maltravers plein du feu de la passion. Avec plus de tendresse, avec plus de respect, avec plus de confiance fidèle et sincère que je n’ai jamais aimé créature vivante ! même celle dont la jeunesse et l’innocence me faisaient adorer ton souvenir ! En toi j’ai trouvé ce qui fait pâlir l’idéal ! En toi j’ai trouvé une vertu qui, provenant à la fois de Dieu et de la nature, a été plus sage que toute ma fausse philosophie, et plus ferme que tout mon orgueil ! Vous, bercée par le malheur ; vous, dont l’enfance fut élevée au milieu des impressions de crainte et de vice, qui, en retardant l’intelligence, ont laissé l’âme sans souillure, vous dont le père même fut le tentateur et l’ennemi, vous que la seule tache d’une tendre faute, commise par ignorance, empêche d’être un ange, vous qui, au milieu des épreuves égales de la pauvreté et de l’opulence, étiez destinée à vous élever triomphante au-dessus de tout, exemple de cette sublime morale qui nous montre de quelle mystérieuse beauté, de quelle immortelle sainteté le créateur a comblé notre humaine nature, lorsqu’elle est sanctifiée par nos affections humaines ! vous seule suffisez à réduire en poussière les arrogantes croyances du Misanthrope et du Pharisien ! Et votre fidélité à un être aussi imparfait que moi m’a enseigné à aimer, à servir, à plaindre, à respecter toujours la communauté des créatures de Dieu, à laquelle, quoique plus noble et plus grande, vous appartenez pourtant ! »

Il s’arrêta, subjugué par le torrent de ses pensées. Alice était trop heureuse pour trouver des paroles. Mais dans le murmure des feuilles qui étincelaient au soleil, dans le souffle de la brise d’été, dans le chant joyeux des oiseaux et dans le bruit profond et lointain des vagues sous l’azur du ciel, une voix mélodieuse semblait vibrer aux paroles de Maltravers comme un écho de la nature bénissant la réunion de ses enfants.

Maltravers rentra dans la carrière, si longtemps interrompue. Il y rentra avec une énergie plus pratique et plus opiniâtre que l’enthousiasme capricieux des années précédentes. Et ceux qui le connaissaient bien purent remarquer que, quoique la fermeté de son esprit n’eût rien perdu, la fierté de son caractère s’était adoucie. Ne méprisant plus l’homme tel qu’il est, et n’exigeant plus de toute chose une perfection chimérique, il était plus propre à se mêler au monde réel, et à servir utilement les grands desseins qui élèvent et ennoblissent notre espèce. Ses sentiments étaient peut-