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avez pris la droite route ; moi, le sentier tortueux. Vous aviez plus de fortune que moi ; vous m’étiez infiniment supérieur comme génie ; vous étiez né pour commander toujours, pour ne ramper jamais ; maintenant, chacun de nous est dans la force de l’âge ; quelle est notre position relative ? Vous avez une réputation stérile et sans profit ; vous n’avez point de rang, point de pouvoir, presque pas d’espérance d’en avoir jamais. Moi… mais vous ne connaissez pas ma nouvelle dignité : moi, j’entre dans le cabinet ministériel de l’Angleterre ; de vastes perspectives de fortune se déroulent à mes regards ; les plus hautes dignités ne sont pas interdites aux calculs raisonnables de mon ambition ! Vous, vous épousez quelque grande rêverie, vous poursuivez quelque but chimérique, qui s’évanouit quand vous voulez le saisir. Moi, je me balance, comme un écureuil, de projet en projet ; si l’un me fait défaut, qu’importe ? n’en ai-je pas un autre sous la main ? Il y a des hommes qui se seraient à ma place coupé la gorge de désespoir, il y a une heure, en perdant le fruit de sept années d’efforts : une belle fiancée, et une riche fortune du même coup ! J’ouvre une lettre, et je trouve le succès d’un côté pour me dédommager de l’échec qui pèse dans l’autre plateau de la balance. Bah ! bah ! chacun son métier, Maltravers ! À vous l’honneur, la mélancolie, et le repentir aussi, si bon vous semble ! À moi la vie rapide, haletante, qui ne regarde jamais en arrière, qui ne mesure jamais les échelons de l’avenir. Ne nous envions pas l’un l’autre ; si vous n’étiez Diogène, vous voudriez être Alexandre. Adieu, notre entrevue est finie. Voulez-vous oublier, pardonner, et me serrer la main encore une fois ? Vous vous retirez, vous froncez le sourcil ! eh bien, peut-être avez-vous raison. Si nous nous revoyons jamais…

— Ce sera comme étrangers.

— Point de serments téméraires ! Vous reviendrez peut-être à la politique ; vous aurez peut-être besoin d’une place. Je suis de votre bord maintenant : et… ah ! ah ! ah !.. le pauvre Lumley Ferrers pourrait vous faire nommer ministre des finances. Ces sentiers tortueux, voyez-vous, valent bien le droit chemin pour y voyager à l’aise, gratis et sans cahots. Adieu ! »

En entrant dans la chambre où Cesarini s’était retiré, Maltravers ne l’y trouva plus. Son domestique lui dit que l’étranger était parti peu de temps après l’arrivée de lord Vargrave. Ernest se reprocha amèrement d’avoir négligé de