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minel si endurci, et si souillé de noirs forfaits, sans expiation, sans repentir, sans préparation, devant le tribunal de la justice divine ! Allez, malheureux ! que la vie vous soit longtemps conservée ! Réveillez-vous ! Sortez de votre aveuglement dans ce monde, avant que vos pieds aient franchi le seuil irrévocable d’une autre vie !

— Je ne suis pas venu ici pour entendre des homélies, ou pour prêter l’oreille au jargon des bigots, dit Vargrave, s’efforçant en vain d’affecter une attitude arrogante que son aspect coupable et humilié démentait terriblement. Ce n’est pas moi, c’est un monde pervers qu’il en faut accuser si, pour réussir, la nécessité m’a poussé à des actes qu’une stricte moralité ne peut justifier peut-être, mais dont je ne pouvais prévoir les effets, moi qui ne suis pas prophète. J’ai fait comme tant d’autres, qui ont à lutter contre la fortune afin de devenir riches et puissants ; l’ambition est souvent obligée de se servir d’assez sales échelles.

— Oh ! écoutez les avertissements pendant qu’il en est temps encore ! dit Maltravers avec conviction, touché involontairement, et en dépit de l’horreur que lui inspirait le criminel, par l’espèce de regret que semblait indiquer cette tentative de justification : ne vous abritez pas derrière ces misérables sophismes, jetez un regard sur votre carrière passée ; voyez à quelle élévation vous auriez atteint, avec les dons rares et l’énergie que vous possédez, avec cette pénétration subtile et ce courage indomptable, si votre ambition avait choisi le droit chemin au lieu des sentiers tortueux. Arrêtez-vous ! Selon les lois de la nature, bien des années vous seront peut-être encore accordées pour revenir sur vos pas, pour expier envers des milliers d’hommes les maux que vous avez infligés à quelques-uns d’entre eux. Je ne sais pourquoi je vous parle ainsi : mais un sentiment plus divin que l’indignation m’y pousse ; quelque chose me dit que vous êtes déjà sur le bord de l’abîme ! »

Lord Vargrave changea de couleur, et garda le silence pendant quelques instants ; puis relevant la tête, il dit avec un pâle sourire :

« Maltravers, vous êtes un faux prophète. En ce moment, mes sentiers, tout tortueux qu’ils soient, m’ont conduit jusqu’au sommet de mes plus hautes espérances ; la droite route m’aurait laissé au pied de la montagne. Vous êtes vous-même un fanal qui met en garde contre la ligne de conduite que vous recommandez. Comparons-nous l’un à l’autre. Vous