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cussion avec l’adresse la plus délicate ; il reconnaissait que l’opposition précédente de lord Vargrave était raisonnable ; mais il déclarait que cette mesure était devenue depuis, sinon prudente, du moins inévitable. Il ne disait rien au sujet de la justice de la mesure qu’il se proposait d’adopter, mais il parlait beaucoup de son urgence. Il concluait en offrant à Vargrave, dans les termes les plus bienveillants et les plus flatteurs, le poste même, dans le cabinet, que lord Saxingham avait laissé vacant, en s’excusant de l’insuffisance de cette place relativement au mérite de lord Vargrave, et accompagnait cette offre d’une promesse définie et distincte de refuser à tout autre que lui la splendide vice-royauté de l’Inde, qui se trouverait vacante l’année suivante, par suite du rappel du gouverneur-général actuel.

Malgré son défaut de principes, peut-être ne sera-ce pas juger Vargrave avec trop d’indulgence que de dire que, s’il avait réussi à obtenir la main et la fortune d’Éveline, il aurait reculé devant la bassesse qu’il méditait en ce moment. S’emparer froidement de la place que lui, lui seul, avait fait perdre à son premier protecteur, et à son plus proche parent, trahir son parti, et profiter de cette trahison, se perdre éternellement dans l’opinion de ses anciens amis, passer dans l’histoire pour un apostat mercenaire, tout cela lui aurait répugné s’il avait vu à l’horizon un seul coin de terre sur lequel il pût poser honnêtement le pied. Mais les eaux de l’abîme se refermaient au-dessus de sa tête ; il se serait accroché à un fétu ; avec quel empressement devait-il donc consentir à se laisser recueillir par un vaisseau ennemi ! Toute objection, tout scrupule s’évanouirent sur-le-champ. Et « l’or barbarique d’Ormuz et de l’Inde » scintilla devant les yeux avides de l’aventurier ruiné. Il n’y avait pas un jour à perdre. Quel bonheur qu’une proposition écrite, qu’il était impossible de rétracter, lui eût été faite avant que la rupture de ses projets de mariage fût connue ! Trop heureux de quitter Paris, il partirait dès le lendemain, et conclurait en personne la négociation. Vargrave jeta les yeux sur la pendule : il était à peine onze heures. Que de résolutions s’opèrent en quelques moments ! En une heure de temps il avait perdu une femme et une splendide fortune, il avait changé les opinions politiques de toute son existence, il était entré au ministère, et il calculait déjà ce qu’un gouverneur-général de l’Inde pouvait mettre de côté dans l’espace de cinq années. Mais il n’était que onze heures ; il avait remis la