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conduire sur-le-champ. Il lui fit part de ce qu’il venait d’apprendre au sujet de la banqueroute de M. Douce, et lui donna mission de quitter Paris, aussitôt qu’il se serait procuré un passeport, et de se rendre à Londres. Dans tous les cas, il y arriverait quelques heures avant Maltravers, et ces heures-là seraient toujours autant de gagné. Cette affaire conclue, il se fit conduire à l’hôtel le plus proche, qui se trouvait être l’hôtel de M***, où il ne savait pas que logeait aussi lord Vargrave. Tandis que la voiture attendait au dehors que le concierge eût ouvert la porte cochère, un homme, qui errait depuis quelque temps sous les réverbères, s’élança, mit la tête à la portière de la voiture, et regarda Maltravers attentivement. Ce dernier, absorbé, préoccupé, ne le vit pas ; lorsque la voiture entra dans la cour de l’hôtel, elle fut suivie par l’étranger, enveloppé d’un manteau usé et déchiré ; ses mouvements ne furent pas remarqués au milieu du bruit et de l’agitation causés par l’arrivée de Maltravers. La femme du concierge conduisit ce dernier à un appartement du second étage qui se trouvait vacant ; et le garçon d’hôtel se mit en devoir d’allumer du feu. Maltravers, rêveur et distrait, se jeta sur un canapé, insensible à tout ce qui se passait autour de lui. En levant les yeux, il aperçut devant lui la figure de Cesarini. L’Italien (que les gens de l’hôtel avaient sans doute pris pour un des nouveaux arrivants) se penchait par-dessus le dossier d’une chaise, le menton appuyé sur sa main, les yeux fixés avec une expression sérieuse et triste sur le visage de son ancien rival. Lorsqu’il s’aperçut qu’il était reconnu, il s’approcha de Maltravers, et lui dit à voix basse, en italien :

« Vous êtes l’homme du monde, hormis un seul, que je désirais le plus voir. J’ai bien des choses à vous dire, et mes moments sont comptés. Accordez-moi quelques minutes d’entretien. »

Le ton et l’attitude de Cesarini étaient si calmes, si raisonnables, qu’ils modifièrent la première impulsion de Maltravers, qui était de s’assurer de la personne du fou, tandis que la figure maigre et pâle de l’Italien, ses vêtements déguenillés, l’air de pénurie et de besoin répandu sur toute sa personne, excitèrent malgré lui sa compassion. Malgré toutes les pensées inquiètes et absorbantes qui le préoccupaient, Maltravers ne put refuser l’entretien qui lui était demandé. Il congédia les domestiques, et fit signe à Cesarini de s’asseoir.