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rité. Cette mère pâle et solitaire, pleurant sur la tombe de son enfant (qui était le sien aussi !) se dressait devant ses yeux, et semblait silencieusement lui demander compte du cœur qu’il avait rendu stérile, et de la jeunesse que son amour avait condamnée à la mélancolie de la vieillesse. À l’image d’Alice, éloignée, seule, soit qu’elle errât mendiante et sans asile, soit qu’elle vécût dans une prospérité vide, où le bien-être physique lui-même ne faisait que donner de plus grands loisirs aux regrets de son cœur ; à cette image pure, affligée et fidèle jusqu’au bout, il comparait sa jeunesse à lui, jeunesse insensée, inutile, gaspillée, qui avait cherché des aliments dans l’imagination et la passion. Il comparait son arrogante révolte contre les épreuves dont son esprit orgueilleux avait exagéré l’amertume, son mépris pour les occupations et les ambitions des autres, l’impérieuse indolence des récentes années de sa vie, et son oubli des devoirs que la Providence lui avait assignés, à la patiente résignation d’Alice. Son esprit, après avoir été si rudement précipité du haut de ce hautain piédestal, d’où il avait si longtemps regardé avec dédain les hommes, en disant : « Je suis meilleur et plus sage que vous, » devint bientôt et même trop vivement pénétré de sa propre infirmité, et ce désir de vertu, qu’il avait toujours profondément senti, fit entendre sa voix plus haut et plus distinctement, au milieu des ruines et du silence de son orgueil.

Il s’éveilla de cette contemplation du passé pour tourner ses regards vers l’avenir. Alice avait refusé sa main ; Alice elle-même avait ratifié et béni son union avec une autre ! Éveline, si follement aimée, Éveline pourrait encore lui appartenir ! Aucune loi, dont la violation, même en pensée, fait frémir d’épouvante et d’horreur la nature humaine, ne lui interdisait de réclamer sa main, de l’arracher à Vargrave, de fléchir encore et de regagner son cœur ! Mais Maltravers embrassa-t-il avec joie cette pensée ? Rendons-lui justice ; il ne le fit point. Il sentait que la résolution d’Alice, dans ce premier moment d’affection froissée, ne devait pas être considérée comme irrévocable ; et même, s’il devait en être ainsi, il sentait, encore plus vivement, que l’amour d’Alice, cet amour qui avait résisté à tant d’épreuves, ne s’éteindrait jamais. Devait-il se faire de la magnanimité de la victime une arme contre elle ? Devait-il lui dire : « Tu as passé ; ta jeunesse est finie ; et je t’abandonne une dernière fois à ta solitude, pour celle que tu as chérie comme une fille ? »