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moment de silence, elle l’attira doucement, de ses deux mains, vers la lumière, et le regarda longtemps avec tendresse, avec orgueil, comme pour retrouver, ligne par ligne, et trait par trait, la physionomie qui avait été à ses douces pensées ce que le soleil est aux fleurs.

« Changé, changé, murmura-t-elle ; mais toujours le même cependant : toujours beau, toujours divin ! »

Elle s’arrêta ; une idée soudaine l’avait frappée : les vêtements d’Ernest étaient usés, souillés par le voyage, et ce front altier, courbé, abattu, ne dominait plus, par son air de défi hautain, les fils des hommes.

« Vous n’êtes pas riche, s’écria-t-elle avec empressement, dites-moi que vous n’êtes pas riche ! Je le suis assez pour nous deux, moi, et tous mes biens sont à vous, à vous ! Je ne vous ai pas trahi pour me les procurer, je ne les ai achetés au prix d’aucune honte. Oh ! nous allons être si heureux ! Tu es revenu à ta pauvre Alice ! tu sais combien elle t’aimait ! »

Il y avait dans les manières d’Alice, dans sa joie sauvage, quelque chose de si différent de son attitude ordinaire, que ceux qui l’avaient vue silencieuse, pensive, calme, ne l’auraient jamais reconnue. Tout ce que la société avec ses douleurs lui avait enseigné, avait disparu ; c’était la nature, la pure, et simple nature qui animait une fois encore sa plus belle créature. Les années mêmes semblaient être tombées de son front, et elle paraissait à peine plus âgée que lorsqu’elle était à côté de lui, sous les rayons de la lune, près des parterres de violettes, bien loin de là. Tout à coup elle pâlit ; le sourire s’éteignit sur ses lèvres gracieuses ; une expression triste et grave succéda à l’expression d’une joie sans bornes.

« Viens, dit-elle à voix basse, viens, suis-moi ! »

Et, lui tenant toujours la main, elle l’attira vers la porte. Silencieux et étonné, il la suivit à travers le jardin, par la porte couverte de mousse, et jusque dans le cimetière isolé. Elle s’avançait sans bruit, et semblait glisser sur le sol, pâle, sans voix, presque sans haleine ; on eût été tenté de croire, en dépit des rayons brûlants du jour, que cette gracieuse créature n’appartenait pas à la terre. Elle s’arrêta à l’endroit où l’if jetait son mélancolique ombrage ; devant eux se trouvait un petit tertre, séparé des autres, et qui n’était surmonté d’aucune pierre tumulaire. Elle le lui montra du doigt, et tombant à genoux, elle murmura :