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La vanité de Templeton était froissée ; son caractère toujours irascible s’aigrit, il se vengea de son affront par mille petites tyrannies ; et, sans un seul murmure, Alice souffrit peut-être plus pendant ces années de rang et d’opulence qu’elle n’avait souffert, lorsqu’elle errait sans abri, l’amour dans le cœur, et son enfant dans les bras.

Éveline devait hériter de la fortune du banquier. Mais le titre du nouveau pair ! S’il pouvait unir la fortune et le titre, et poser la couronne de pairesse sur ce jeune front ! Ce désir l’avait porté à rechercher l’alliance de Lumley. Sur son lit de mort ce ne fut pas le secret d’Alice, mais celui de Marie Westbrook qu’il révéla à son neveu étonné et consterné, pour excuser l’aliénation, injuste en apparence, de ses biens, et pour expliquer dans quel but il avait recherché cette alliance.

Tant que vécut Richard Templeton, Alice avait paru ensevelir dans son sein son regret profond, puissant, excessif pour l’enfant qu’elle avait perdu, l’enfant de l’amant qu’elle n’avait pas oublié, et auquel, au milieu de tant d’épreuves, et en dépit de ses nouveaux liens, elle était restée fidèle jusqu’au bout. Mais lorsqu’elle se trouva libre, son cœur vola vers cette tombe humble et éloignée. De là ces visites annuelles à Brook Green ; de là son acquisition du cottage, consacré par les souvenirs de la morte. C’était sur cette pelouse qu’elle avait porté cet être si fragile, pour lui faire respirer l’air tiède de l’après-midi ; c’était dans cette chambre qu’elle avait veillé, qu’elle avait prié, qu’elle s’était désespérée ! C’était dans ce paisible cimetière que reposait cette poussière bien-aimée ! Mais Alice n’était pas égoïste, même dans ses sentiments les plus sacrés. Elle renonça à satisfaire le plus cher désir de son cœur, jusqu’à ce que l’éducation d’Éveline fût assez avancée pour lui permettre de quitter le voisinage de Londres. Alors, à la grande satisfaction d’Aubrey (qui voyait en Éveline une Éléonore plus belle, plus noble, plus pure), elle vint se fixer dans ce lieu solitaire, qui pour elle était certes le moins solitaire qu’il y eût sur la terre !

Et dès lors l’image de l’amant de sa jeunesse, que pendant son mariage elle avait cherché du moins à bannir, lui revint, et par moments lui inspira les seules espérances que la mort n’eût pas emmenées au ciel ! En racontant son histoire à Aubrey, ou en causant avec mistress Leslie, dont elle avait toujours conservé l’amitié, elle trouva que l’un et