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La mort réduisit en poussière tous les projets de M. Templeton. Marie souffrit cruellement en couches, et mourut quelques semaines plus tard. Templeton fut d’abord inconsolable ; mais l’égoïsme est un grand consolateur. Il avait fait tout ce que pouvait faire la conscience pour réparer une faute, et il se trouvait délivré d’un dilemme fort embarrassant, et d’un bannissement temporaire tout à fait antipathique à ses habitudes et à ses goûts. Mais maintenant il avait un enfant, un enfant légitime, qui succéderait à son nom, à sa fortune ; un enfant premier-né, le seul auquel il eût jamais donné le jour, l’espérance, le soutien de sa vieillesse prochaine ! Il chérissait cet enfant, avec toute cette passion paternelle que souvent les hommes les plus secs et les plus froids sont les premiers à éprouver vis-à-vis de leur progéniture : car fréquemment l’amour paternel n’est que l’amour propre transvasé.

Pourtant cet enfant, ce trésor qu’il brûlait de faire voir au monde entier, il était absolument nécessaire, pour le moment, de le cacher et de le désavouer. Or il se trouvait que le mari de Sarah, était mort, par suite de ses excès, quelques semaines avant la naissance de l’enfant de Templeton, au moment où Sarah venait elle-même de se relever de ses couches ; elle était donc débarrassée pour toujours de la vigilance et de l’autorité de son mari. La future héritière fut confiée aux soins de cette femme, dont l’enfant fut envoyé en nourrice. C’était elle, c’était l’enfant de Templeton, qui avait tant excité la bienveillante curiosité du digne ecclésiastique, et des trois vieilles filles de C***[1]. Le récit que lui fit Sarah de la curiosité du prêtre, et la rencontre qu’il fit lui-même de ce pasteur à l’œil de lynx, effrayèrent Templeton, qui fit changer de demeure à la nourrice sans perdre de temps. C’était à cette nouvelle résidence que s’était rendu le banquier, armé de son attirail de pêche, le jour de son aventure avec Luc Darvil[2]. Lorsque M. Templeton fit la connaissance d’Alice, son enfant avait environ treize ou quatorze mois, quelques mois de plus que l’enfant d’Alice. Si la beauté de la protégée de mistress Leslie excita d’abord les instincts grossiers de sa nature, bientôt la tendresse maternelle, la vive sollicitude d’Alice pour son enfant, firent vibrer la même corde dans son cœur de père. Il

  1. Voy. Ernest Maltravers, 1re partie, liv. iv, p. 164.
  2. Ibid. p. 182.