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CHAPITRE VIII

Nos amis nous quittent l’un après l’autre ; quel est celui d’entre nous qui n’a pas perdu un ami ? Il ne se forme pas ici-bas d’union de cœurs qui ne soit brisée ici-bas.
(J. Montgomery.)

Ce soir-là mistress Leslie alla trouver lady Vargrave dans sa chambre. En entrant doucement, elle remarqua que, malgré l’heure avancée, lady Vargrave était à la fenêtre ouverte, et paraissait absorbée dans la contemplation du paysage qui s’étendait sous ses yeux. Mistress Leslie s’approcha d’elle sans être aperçue. La lune répandait une vive clarté, et au-delà du jardin, dont il n’était séparé que par une légère palissade, s’étendait le silencieux cimetière du hameau, dominé par la flèche du saint édifice, qui s’élançait haute et droite dans l’air transparent. C’était un tableau calme et paisible ; et le regard rêveur de lady Vargrave paraissait tellement absorbé dans ce spectacle, que mistress Leslie ne voulut pas troubler ses méditations.

À la fin lady Vargrave se retourna. Sur sa physionomie se lisait cette expression de résignation patiente, qui appartient aux personnes que le monde ne saurait plus décevoir, et qui ont désormais attaché leurs cœurs à la vie d’outre-terre.

Quels que fussent les sentiments ou les pensées de mistress Leslie, elle n’en dit rien, et se contenta de lui faire une remontrance amicale sur le danger de braver l’air du soir. On ferma la fenêtre, et l’on s’assit pour causer.

Mistress Leslie renouvela l’invitation qu’on avait faite à Éveline, et insista fortement sur l’avantage qu’il y aurait à l’accepter.

« Il est cruel de vous séparer, dit-elle ; j’en ressens un vif chagrin. Pourquoi alors ne pas accompagner Éveline ? Vous secouez la tête. Pourquoi fuir toujours la société ? Si jeune encore, vous vous livrez trop aux regrets du passé ! »

Lady Vargrave se leva, et se dirigea vers un meuble placé à l’extrémité de la pièce ; elle l’ouvrit, et fit signe à mistress