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Je me fie à votre jugement et à votre habileté pour choisir le moment et le mode d’explication qui vous paraîtront préférables. Maintenant parlons d’Éveline. »

Ici Maltravers indiqua généralement l’esprit de la lettre qu’il avait écrite. Vargrave l’écoutait pensif.

« Maltravers, dit-il, il est bien d’essayer d’abord l’effet de votre lettre. Mais si elle échoue ; si elle ne sert qu’à enflammer l’imagination et à exciter l’intérêt d’Éveline ; si celle-ci continue à vous aimer ; si cet amour la consume ; s’il mine sa santé ; s’il la détruit ?… »

Maltravers gémit. Lumley poursuivit :

« Je ne dis pas cela pour vous affliger, mais pour ne rien laisser d’imprévu. Moi aussi j’ai passé la nuit à réfléchir à ce qu’il vaudrait mieux faire en pareil cas, et voici le dessein auquel je me suis arrêté. S’il est nécessaire, disons la vérité à Éveline, mais en dépouillant la vérité de tout ce qu’elle renferme de honte. Non, non, ne m’interrompez pas. Pourquoi ne pas dire que, sous un nom d’emprunt, et dans l’ardeur romanesque de votre première jeunesse, vous avez connu Alice et que vous l’avez aimée (en toute innocence et en tout honneur) : votre extrême jeunesse, la différence de rang qui vous séparait, s’opposèrent à votre union. Son père, ayant découvert votre correspondance clandestine, lui fit quitter soudain le pays, et déjoua tous vos efforts pour la retrouver. Vous vous perdîtes de vue l’un l’autre ; on fit croire à chacun de vous que l’objet de son amour avait cessé de vivre. Alice fut forcée, par son père, d’épouser M. Cameron, et après la mort de son mari, son indigence et l’amour qu’elle portait à son unique enfant la décidèrent à accepter la main de mon oncle. Vous avez maintenant tout appris ; vous avez appris qu’Éveline est la fille de l’objet de votre premier amour, la fille de la femme qui vous adore encore, et dont votre souvenir a empoisonné la vie pendant tant d’années. Éveline comprendra sur-le-champ tous les scrupules d’une âme délicate ; elle frémira à la pensée qu’une fille puisse être la rivale de sa mère. Elle comprendra pourquoi vous avez fui loin d’elle ; elle prendra part à vos combats ; elle se rappellera la continuelle mélancolie d’Alice ; elle espérera voir le premier amour se rallumer et effacer toute trace de douleur ; la gémérosité et le devoir se réuniront pour l’aider à vaincre son affection pour vous ! Et plus tard, lorsque le temps vous aura rendu la paix du cœur à l’un et à l’autre, le père et la fille