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— Mais pourquoi ne m’avoir pas parlé de tout ceci ? Pourquoi ne m’avoir pas averti ? Pourquoi ne m’avoir pas dit, lorsque mon cœur aurait pu se contenter d’un lien si doux : — « Tu as une fille, tu n’es pas seul au monde ! » Pourquoi m’avoir caché la connaissance de ce bienfait jusqu’à ce qu’il se soit changé en poison ? Serpent que vous êtes ! vous avez attendu jusqu’à cette heure pour vous repaître des angoisses qu’un mot de vous, il y a un an, que dis-je ? il y a un mois, un mois à peine, aurait pu nous épargner, à elle et à moi ! »

En disant ces mots, Maltravers s’approcha de Vargrave, l’attitude menaçante, les yeux étincelants de colère, les poings serrés, les veines de son front gonflées comme des cordes. Lumley, tout brave qu’il fût, recula.

« Je n’ai connu ce secret que peu de jours avant de venir ici, dit-il d’une voix tremblante, et je suis accouru, sur-le-champ, pour vous le révéler. Voulez-vous m’écouter ? Je savais que mon oncle avait épousé une femme d’un rang fort inférieur au sien ; mais il était réservé et circonspect, et je n’en savais pas davantage, si ce n’est que, d’un premier mari, cette dame avait une fille : Éveline. Une suite de circonstances accidentelles m’a soudain dévoilé le reste. »

Ici Vargrave répéta assez fidèlement ce que lui avaient dit le brasseur de C*** et M. Onslow ; mais quand il en vint à la confirmation tacite que ses soupçons avaient reçue de mistress Leslie, il exagéra beaucoup, et il défigura considérablement ce qui s’était passé.

« Jugez alors, dit Lumley en terminant son récit, du sentiment d’horreur que j’éprouvai en apprenant que vous aviez déclaré votre amour à Éveline, et que cet amour était réciproque. Malade comme je l’étais, je me hâtai d’accourir ; vous savez le reste. Cette explication vous satisfait-elle ?

— Je vais aller trouver Alice ! j’apprendrai tout de sa bouche même… Et pourtant comment oserai-je la revoir ? Comment pourrai-je lui dire : « Je t’ai arraché ta dernière espérance ! j’ai brisé le cœur de ton enfant ? »

— Pardonnez-moi, mais je devrais peut-être vous avouer que, d’après tout ce que m’a dit mistress Leslie, lady Vargrave n’a qu’un désir, qu’une espérance au monde : ne jamais revoir son séducteur. Vous pouvez voir vous-même par sa lettre combien la pensée que vous pourriez découvrir ses traces l’épouvante. Elle a enfin recouvré la paix de l’âme, la tranquillité de la conscience. Elle recule d’effroi à la pensée de rencontrer celui qui lui fut jadis si cher, mais