Page:Bulwer-Lytton - Alice ou les mystères.pdf/370

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

suis presque tentée de croire que ce fut son enthousiasme si singulier et si rare qui m’inspira tout d’abord de l’intérêt pour vous.

— Voilà une double raison, alors, pour que j’aime votre mère, dit Maltravers heureux et flatté. N’aime-t-elle pas la musique italienne ?

— Pas beaucoup ; elle préfère quelques vieux airs allemands très-simples, mais très-touchants.

— Comme moi quand j’étais jeune, dit Maltravers avec un intérêt croissant.

— Il y a aussi quelques mélodies anglaises que je lui ai entendu chanter quelquefois, mais bien rarement. Il y en a une en particulier qui l’émeut si vivement, quand elle en joue seulement le motif, que j’y ai toujours attaché une certaine idée de sainteté mystérieuse. Je n’aimerais pas à la chanter devant le monde ; mais demain, quand vous viendrez me voir, et que nous serons seuls…

— Ah ! demain je ne manquerai pas de vous en faire souvenir. »

Leur conversation cessa ; pourtant, par je ne sais quel hasard, pendant toute cette nuit-là le souvenir de ce que lui avait dit Éveline lui revint obstinément. Cette mère, qui vivait dans la retraite et l’isolement, lui inspirait une curiosité vague et indéfinissable ; une femme dont le passé semblait enveloppé de tant de mystère ! Cleveland, en réponse à sa lettre, lui avait mandé que toutes ses recherches relatives à la naissance et au premier mariage de lady Vargrave avaient été infructueuses. Éveline évidemment n’en savait pas grand’chose ; et d’ailleurs il hésitait par une sorte de délicatesse à lui adresser des questions qu’on aurait pu attribuer à la curiosité, ou même à un vulgaire orgueil de naissance. Puis les amants ont tant de choses à se dire, que Maltravers n’avait jamais trouvé le temps de parler à Éveline d’autres personnes que d’elle et de lui. Il dormit mal cette nuit-là ; des rêves sinistres et d’un mauvais augure troublèrent son sommeil. Il se leva tard, accablé de tristes pressentiments qu’il ne pouvait réussir à maîtriser. Il avait à peine achevé son repas du matin, et pris son chapeau pour se rendre auprès d’Éveline afin de trouver un peu de consolation près d’elle et de se réchauffer à son soleil, lorsque la porte s’ouvrit, et à son grand étonnement il vit entrer lord Vargrave.

Lumley s’assit avec une raideur et une gravité qui ne lui