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tendre compassion pour ses infirmités. Aussitôt donc qu’il eut appris que Legard avait quitté Paris, il se crut en sûreté pour le moment de ce côté, et il donna toutes ses pensées à ses projets ambitieux. Peut-être aussi, avec la vanité susceptible d’un homme déjà mûr qui a eu ses bonnes fortunes, Lumley estimait-il, comme Rousseau, qu’un amant pâle et défait, à peine relevé d’un lit de douleur, intéresse plus l’amitié qu’il n’éveille l’amour. À mon avis Lumley et Rousseau se trompaient tous deux ; mais c’est une affaire d’opinion ; l’un et l’autre jugeaient très-mal les femmes, l’un parce qu’il n’avait pas de sentiment, et l’autre parce que le sentiment qu’il avait ressemblait plutôt à une maladie. Enfin, précisément au moment où Lumley fut suffisamment rétabli pour quitter sa chambre, paraître à son bureau, et y déclarer que son indisposition avait merveilleusement raffermi son tempérament, il reçut de Paris des nouvelles d’autant plus saisissantes qu’elles étaient complétement inattendues. Caroline lui écrivait que Maltravers avait demandé la main d’Éveline, et que cette dernière la lui avait accordée. Maltravers lui écrivait aussi, pour lui confirmer cette nouvelle. La lettre de ce dernier était concise, mais affectueuse et digne. Il s’adressait à lord Vargrave en sa qualité de tuteur d’Éveline ; il faisait en passant allusion aux scrupules qu’il avait eus jusqu’à ce que l’engagement de lord Vargrave avec Éveline eût été rompu ; et il exprimait le désir de s’entendre verbalement avec Lumley au sujet des volontés d’Éveline, relativement à certaines dispositions de sa fortune ; cette question était trop délicate à traiter par lettre.

C’était donc pour en venir là que Lumley avait tant travaillé ! Qu’il avait été visiter Lisle-Court ! qu’il avait été jeté sur un lit de douleur ! C’était donc pour que son ancien rival devînt l’acquéreur, si bon lui semblait, des domaines de sa famille ! En ce moment Lumley pensait moins à Éveline qu’à Lisle-Court. En sortant de la stupeur et du premier accès de rage où ces lettres l’avaient jeté, le souvenir de l’histoire que lui avait racontée M. Onslow lui revint soudain. Si ses soupçons se vérifiaient, de quel secret il se trouverait maître ! Combien le destin pourrait lui être encore favorable ! Il n’y avait pas un moment à perdre. Faible, souffrant comme il l’était encore, il commanda sa voiture, et se hâta de se rendre auprès de mistress Leslie.

Dans l’entrevue qui eut lieu, il prit soin de ne pas donner l’alarme à sa discrétion. Il dirigea la conférence avec l’habi-