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presque au soir, lorsque Maltravers, à son retour, entra dans le jardin par une porte qui le séparait d’un grand bois. Il aperçut Éveline, Teresa et deux des enfants qui se promenaient sur une espèce de terrasse immédiatement en face de lui. Il alla les rejoindre ; et par je ne sais quel hasard, Teresa et lui se trouvèrent bientôt derrière les autres, assez éloignés pour n’être pas entendus.

« Ah ! monsieur Maltravers, dit Teresa, nous regrettons ici le doux ciel de l’Italie et les admirables teintes du lac de Côme.

— Pour ma part, je regrette la jeunesse qui prêtait « de la splendeur à l’herbe et de la magnificence à la fleur ».

— Non, non ! nous sommes plus heureux à présent, croyez-moi ; ou du moins je le serais, moi, si… mais il ne faut pas que je pense à mon pauvre frère. Ah ! si son crime vous a privé d’une femme digne de vous, sa sœur du moins serait consolée en pensant que cette perte est enfin réparée. Et vous avez encore des scrupules ?

— Quel est l’homme qui aime véritablement et qui n’en a pas ? Elle est si jeune, si jolie, si digne d’un cœur plus joyeux, d’un extérieur plus séduisant que le mien ! Rendez-moi les années qui se sont écoulées depuis la dernière fois que nous nous rencontrâmes, vous et moi, à Côme, et alors j’aurai le droit d’espérer.

— Et vous me dites cela, à moi, qui ai trouvé tant de bonheur auprès d’un homme plus âgé de dix ans à l’époque de notre mariage que vous ne l’êtes maintenant !

— Mais vous, Teresa, vous étiez née pour voir la vie à travers le prisme d’un Claude Lorrain.

— Ah ! vous m’irritez avec vos subtilités ; vous rejetez un bonheur que vous n’avez qu’à demander.

— De grâce n’élevez pas trop haut mes espérances, s’écria Maltravers. Je me suis préparé pendant toute cette journée. Mais si je me trompais !

— Vous ne vous trompez pas, croyez-moi. Voyez, dans ce moment même elle tourne la tête pour vous chercher. Elle vous aime ; elle vous aime comme vous le méritez. La différence d’âge que vous déplorez tant ne sert qu’à élever son affection, qu’à la rendre plus profonde. »

Teresa, étonnée du silence de Maltravers, se tourna vers lui. Ah ! comme dans ses regards joyeux se reflétait son cœur ! Point d’ombre sur son front, point de doute dans ses yeux étincelants ! Il était mortel, et il s’abandonnait au bon-