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bornes aux dangers duquel tu te livrais, et qui te mettait au niveau des âmes les plus faibles, qui renversait toute cette belle philosophie d’un stoïcien comme toi, qui faisait de toi le dernier esclave du « jardin des roses », il me semble, que cet amour aurait dû t’apprendre au moins que tu avais à tout jamais perdu le droit d’être orgueilleux, et le privilège de dédaigner la multitude ! Mais tu étais fier même de ta faiblesse ! Il te faudra une leçon bien plus sévère pour t’enseigner que l’orgueil, ton mauvais ange, est toujours prédestiné à une chute cruelle.

C’est une profonde erreur de croire que c’est dans la jeunesse que les passions sont le plus fortes ! Elles ne sont pas plus fortes, mais l’empire qu’on a sur elles est plus faible. Elles sont plus irritables, elles sont plus violentes et plus apparentes, mais elles ont moins d’énergie, moins de solidité, moins de puissance concentrée, moins d’empire que dans l’âge mûr. Dans la jeunesse, la passion succède à la passion, et l’une se brise sur l’autre, comme des vagues sur un rocher, jusqu’à ce que le cœur s’use, et trouve alors le repos. Dans l’âge mûr le grand fleuve coule plus calme mais plus profond ; sa sérénité même est la preuve de la puissance terrible de son cours, si le vent venait à se lever, si la tempête venait à éclater.

L’ambition d’un jeune homme n’est que de la vanité ; elle n’a pas de but défini, elle s’amuse de mille jouets. Il en est des autres passions comme de l’ambition. Dans la jeunesse l’amour a toujours les ailes déployées, mais, comme les oiseaux au mois d’avril, il n’a pas encore fait son nid. Il a devant lui une si vaste carrière d’été et d’espérance que le désappointement d’aujourd’hui est racheté par la nouveauté de demain, et que le soleil n’a besoin que de faire quelques pas dans le ciel pour sécher ses larmes brûlantes. Mais quand on est arrivé à cette époque de la vie où l’on sent que si la lumière vient à manquer, si la dernière rose se flétrit, la perte en sera irréparable, car le froid et les ténèbres sont proches, alors l’amour devient un trésor que l’on veille, que l’on garde avec la sollicitude d’un avare. Le dernier-né de nos amours est notre enfant de prédilection, notre idole, le gage le plus cher du passé, l’espérance la plus précieuse de l’avenir. Une certaine mélancolie qui se mêle à la joie de posséder ce trésor, en rehausse encore le prix. De ce trésor dépend tout ce qui nous reste. Nos autres navires, nos brillantes galères du plaisir, nos majestueux vaisseaux de