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ai cherché à le séduire. Le fait est que nous avons parlé d’une charmante veuve, la plus jolie femme de l’Autriche, qui est aussi fière et aussi inaccessible que l’Ehrenbreitstein lui-même. La vanité de Legard s’est trouvée piquée ; et, en sa qualité de bourreau des cœurs, il a l’intention de voir ce que peut accomplir le plus bel Anglais de son temps. »

Caroline se mit à rire, et bientôt d’autres causeurs succédant à lord Devonport réclamèrent son attention. Ce ne fut que lorsque les deux dames attendaient leur voiture dans le vestiaire que lady Doltimore remarqua la pâleur d’Éveline et son air soucieux.

« Est-ce que vous êtes fatiguée ou souffrante, ma chère ? dit-elle.

— Non » répondit Éveline, en s’efforçant de sourire.

En ce moment Maltravers vint les rejoindre et leur apprit que leur voiture ne pourrait arriver à la porte que dans quelques minutes. Caroline s’amusa, dans l’intervalle, à faire de mordantes critiques sur les toilettes et le caractère de plusieurs de ses amies. Caroline était devenue extraordinairement prude dans ses jugements envers les autres.

« Quel turban ! Mistress A*** fait preuve de prudence en portant du rouge vif : cette couleur fait pâlir l’éclat de sa figure comme le soleil fait pâlir l’éclat du feu. Monsieur Maltravers, observez donc lady B… avec ce tout jeune homme. Malgré son expérience de la pêche à la ligne, il est singulier qu’elle ne cherche jamais à amorcer que du menu fretin. Dites-moi donc pourquoi le mariage de lady C*** D*** avec M. J*** est rompu ? Est-il vrai qu’il doive tant d’argent ? et que ce soit un si grand libertin ? On dit qu’elle est désespérée.

— Vraiment, lady Doltimore, dit Maltravérs en souriant, je suis peu au courant des nouvelles de ce genre. Mais je ne crois pas que le pauvre J*** soit plus mauvais que d’autres. Comment savoir à qui la faute quand un mariage est rompu ? Lady C*** D*** est désespérée, dit-on ! Quelle idée ! De nos jours il n’y a jamais d’affection dans les unions de ce genre ; et la chaîne qui lie ensemble des natures frivoles n’est qu’un fil de la Vierge ! Ah ! les messieurs et les dames du grand monde ! leurs amours et leurs mariages « fleurissent et se fanent en même temps ; un souffle les a créés, un souffle les détruit. » Ne croyez jamais qu’un cœur, accoutumé à ne battre que dans la haute société, soit capable de se briser ; il est déjà bien rare qu’il soit seulement touché ! »

Éveline l’écoutait attentivement, et parut frappée. Elle