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gent et ennoblissent les desseins et les aspirations de l’homme ; il était l’incarnation même de l’ambition ; et, quand elle eut cessé de vivre, tous les maux, tous les mécomptes qui suivent l’ambition semblèrent se presser en foule autour de mon cœur, comme des vautours attirés par la mort. Enfin cet accablement disparut ; le monde barbare me rendit au monde civilisé. Je revins parmi mes égaux, préparé à n’être plus acteur dans la lutte, mais à rester calme spectateur de l’arène turbulente. Une fois encore je me retrouvai sous le toit de mes pères ; si je n’avais pas de but clair et défini, du moins j’espérais trouver, au milieu de mes arbres héréditaires, le charme de la contemplation et du repos. À peine, dans les premières heures de mon arrivée, m’étais-je livré à ce rêve, qu’un gracieux visage, une douce voix qui jadis avaient déjà fait sur mon cœur une profonde et ineffaçable impression, dispersèrent aux quatre vents toute ma philosophie. Je vis Éveline ! et si jamais il y eut un amour à première vue, ce fut celui qu’elle m’inspira. Je vivais de sa présence et j’oubliais l’avenir ! Ou plutôt, je revenais au passé, aux bocages de mon printemps de vie et d’espérance ! C’était une seconde et nouvelle jeunesse que mon amour pour cette jeune fille !

« Ce n’est véritablement que dans la maturité que nous savons combien étaient aimables nos jeunes années ! Quelle profondeur de sagesse il y avait dans cette antique fable grecque qui donnait Hébé pour récompense au dieu le plus éprouvé dans le grand travail de la vie, à celui que la satiété, fille de l’expérience, avait conduit à s’éprendre de tout ce qui appartient à la jeunesse et à l’espoir !

« Cette ravissante enfant, cette charmante Éveline, ce rayon de soleil imprévu, fit fondre, par son sourire, tous mes palais de glace ! J’aimais, ô Cleveland, j’aimais plus ardemment, plus passionnément, plus follement que je n’avais jamais aimé ! Mais tout à coup j’appris qu’elle était fiancée à un autre, et je sentis qu’il ne m’appartenait pas d’ébranler, de chercher à rompre ce lien. J’aurais été indigne d’aimer Éveline si je n’eusse aimé plus encore l’honneur ! Je me décidai à fuir loin d’elle, sincèrement et résolûment ; je cherchai à vaincre une passion défendue ; je crus que mon amour n’avait pas éveillé de retour, je m’imaginai, d’après certaines paroles que j’entendis, par hasard, Éveline dire à une autre personne qu’elle avait