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Éveline à Paris ; mais elle tremblait lorsqu’elle songeait aux vagues insinuations et aux sourdes menaces que Vargrave avait laissé échapper relativement à ses intentions ultérieures ; et la pensée d’être impliquée dans quelque dessein insensé, ou dans quelque acte infâme, lui troublait l’esprit. Aussi, quand l’homme dont Vargrave redoutait le plus la rivalité, se trouva presque installé dans sa maison, elle ne fit plus qu’une faible résistance ; elle pensa que si Legard pouvait devenir un prétendant aimé et agréé avant l’arrivée de Lumley, ce dernier serait forcé de renoncer aux espérances qu’il nourrissait encore, et qu’elle se trouverait ainsi tirée d’un dilemme dont la prévision l’accablait et l’épouvantait. Caroline d’ailleurs s’apercevait, hélas ! un peu tard, qu’un sot n’est pas si facile à gouverner qu’on le croit ; la résistance qu’elle eût tenté de faire à l’intimité de son mari avec Legard n’eût pas servi à grand’chose. Doltimore avait, dans ces occasions, une volonté opiniâtre ; et quelle qu’eût été auparavant l’influence de Caroline sur son seigneur et maître, cette influence avait bien diminué depuis quelque temps, par le peu de souci qu’elle apportait à dissimuler un caractère irritable de tout temps, et que les regrets, le remords, son mépris pour son mari, et la triste certitude que ni la fortune, ni la jeunesse, ni la beauté ne sont des talismans contre la douleur, aigrissaient tous les jours davantage.

C’était la saison des fêtes et des plaisirs à Paris. Pour échapper à ses pensées, Caroline se plongea avidement dans le tourbillon des dissipations. Si le cœur de Doltimore avait été déçu, sa vanité fut flattée par l’admiration qu’excita sa femme ; il était lui-même d’un âge et d’un caractère à partager ses goûts et ses amusements. La jeune Éveline se trouva lancée avec son amie au milieu de ces plaisirs, dont la splendeur et l’attrait, nouveaux pour elle, l’éblouirent, et à ses côtés on apercevait toujours le beau Legard. Chacun d’eux était dans la fleur de la jeunesse, chacun d’eux était fait pour charmer le monde, et pour en être charmé ; il y avait donc nécessairement une certaine sympathie dans leurs vues, leurs sentiments, leurs occupations et leurs jouissances. Au surplus, il n’y avait pas, dans toute cette ville brillante, un homme plus propre à captiver les yeux et l’imagination que Georges Legard. Pourtant, timide et craintif, Legard n’avait pas encore parlé de son amour ; leur intimité, à cette époque, n’était pas assez mûre pour qu’Éveline pût se demander encore s’il n’y avait pas de danger pour elle