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Dormez, dormez, mylord ! Vous n’auriez guère de repos si vous possédiez tout ce que vous souhaitez !

Pendant les trois jours qui suivirent, lord Vargrave s’occupa à examiner les traits généraux du domaine, et le résultat de cet examen fut de l’engager à acquérir. Le troisième jour il se trouvait à plusieurs milles de distance de la maison, lorsqu’il fut surpris par une pluie battante. Lord Vargrave était d’un tempérament robuste ; et, n’ayant guère été exposé aux intempéries du ciel depuis quelques années, il ne savait pas, par expérience, qu’un homme qui a passé la quarantaine, ne peut supporter impunément des épreuves qui n’ont aucun danger pour une santé de vingt-six ans ; il ne se préoccupa donc point de la pluie qui le mouillait jusqu’aux os, et il négligea de changer de vêtements, jusqu’à ce qu’il eût achevé de lire des lettres et des journaux qui l’attendaient à son retour à Lisle Court. Le résultat de cette imprudence fut que le lendemain matin, en se réveillant, lord Vargrave se trouva, pour la première fois de sa vie, sérieusement malade. Il avait un mal de tête violent ; des frissons de fièvre agitaient tout son corps. La force même du tempérament auquel la fièvre s’était attaquée en augmentait le danger. Lumley (le dernier homme qui songeât à la possibilité de mourir) lutta contre les sensations qu’il éprouvait, commanda des chevaux de poste (car sa visite d’inspection était terminée), et ne parla presque point de son indisposition. Une heure environ avant de partir il reçut ses lettres ; il y en avait une qui lui apprenait que Caroline, accompagnée d’Éveline était déjà arrivée à Paris ; l’autre était du colonel Legard qui lui remettait respectueusement sa démission, attendu qu’il venait d’hériter, par suite de la mort subite de l’amiral, et qu’il avait l’intention de consacrer l’année suivante à faire un voyage sur le continent. Cette dernière lettre inquiéta sérieusement Vargrave ; le bel ex-officier lui avait toujours inspiré une profonde jalousie, et il devina sur-le-champ que Legard était sur le point de se rendre à Paris pour lui faire concurrence. Il soupira, jeta les yeux autour de l’appartement spacieux où il se trouvait, puis il regarda la vaste étendue de bois et de vertes prairies qui s’étendait devant les fenêtres, et se dit : « Un autre m’arrachera-t-il tout cela ? »

L’impatience qu’il éprouvait de voir mistress Leslie, de tenir lady Vargrave en sa puissance, de se rendre à Paris, d’intriguer, de manœuvrer, de triompher, accéléra les pro-