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gination est pour le poëte : elle le transporte dans l’avenir :

Crura sonant ferro, sed canit inter opus.

C’est effectivement la transformation progressive du désir né du désespoir au désir né de l’espérance, qui constitue la différence entre les hommes, entre la misère et le bonheur.

Puis vient la crise. L’espoir se résout en actes : l’orageuse révolution, le despotisme armé peut-être ; puis la rechute, le retour à la seconde enfance des états.

Pouvons-nous avec tant de nouveaux moteurs à notre disposition, un nouveau code de moralité, une sagesse nouvelle, pouvons-nous prédire l’avenir d’après le passé ? Dans les états antiques, la multitude se composait d’esclaves ; la civilisation et la liberté dépendaient des oligarchies : à Athènes 20,000 citoyens, et 400,000 esclaves ! Combien la chute, la déchéance, la destruction de pareils états était facile ; une poignée de soldats et de philosophes, et pas de peuple ! Maintenant il n’y a plus d’obstacles à la circulation du sang dans les états. L’absence d’esclavage, l’existence de la presse, les saines proportions des royaumes, ni trop restreints, ni trop vastes, tout cela a créé de nouvelles espérances, que l’histoire ne saurait démentir. En voulez-vous la preuve ? voyez toutes les révolutions modernes : en Angleterre les guerres civiles, la réformation ; en France les effrayantes saturnales de 1793, et le despotisme militaire qui suivit. Ces deux nations sont-elles déchues ? Le déluge a passé, et voyez ! la face des choses est plus glorieuse qu’avant ! Comparez la France d’aujourd’hui avec la France de l’ancien régime. Vous vous taisez ; eh ! bien, si l’activité de tous les états offre invariablement quelques dangers, est-ce une raison pour vous endormir dans l’inaction ? pour laisser l’équipage se disputer le gouvernail ? Les individus, par la diffusion de leurs pensées, soit dans les lettres, soit dans la vie active, ne peuvent-ils pas régler l’ordre des grands événements ? tantôt les prévenir, tantôt les mitiger, tantôt les animer, tantôt les guider ? Et un homme que la Providence et la fortune ont doué de semblables prérogatives, doit-il se tenir à l’écart parce qu’il ne peut ni prévoir l’avenir, ni créer la perfection ? que me parlez-vous de n’avoir point un but certain et défini ! Comment savons-nous qu’il existe un but certain et défini, même dans le ciel ? comment