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la législation ; on continue à coloniser Utopie, et à combattre des chimères dans les nuages. Contentons-nous donc de ne faire de mal à personne, et de ne faire de bien que dans l’étroite sphère qui nous environne. Laissons les états et les sénats remplir le tonneau des Danaïdes et rouler le rocher de Sisyphe.

— Mon cher ami, dit Montaigne, vous avez certainement tiré le meilleur parti possible d’un argument qui, s’il était admis, abandonnerait le gouvernement aux mains des imbéciles et des fripons, et plongerait les communautés de l’humanité dans l’abîme du découragement. Mais un aperçu très-vulgaire de la question suffirait peut-être pour ébranler votre système. La vie, simplement la vie animale, est-elle, en somme, un malheur ou un bienfait ?

— La généralité des hommes en tous pays jouissent de la vie et redoutent la mort, répondit Maltravers ; s’il en était autrement le monde serait l’œuvre d’un démon, et non d’un Dieu.

— Eh ! bien, alors, voyez combien les progrès de la société enlèvent de victimes à la tombe ! C’est dans les grandes villes, où les effets de la civilisation sont le plus visibles, que la diminution de la mortalité dans une proportion équivalente à l’accroissement de la civilisation, est le plus remarquable. À Berlin, de l’année 1747 à l’année 1755, la mortalité annuelle était de un sur vingt-huit ; mais de 1816 à 1822 elle était de un sur trente-quatre ! Vous demandez ce que l’Angleterre a gagné par ses progrès dans les arts et les sciences ? Je vous répondrai par la statistique de la mortalité. À Londres, à Birmingham, à Liverpool, le nombre des décès, en moins d’un siècle, a diminué de un sur vingt à un sur quarante (précisément de la moitié) ! D’autre part, toutes les fois que dans un pays, dans une seule ville même, la civilisation décroît, et avec elle ses accompagnements naturels, l’activité et le commerce, la mortalité y augmente immédiatement. Mais si la civilisation est favorable à la prolongation de la vie, ne doit-elle pas être favorable à tout ce qui rend la vie heureuse : à la santé du corps, au contentement de l’esprit, aux jouissances faciles ? Et combien la perspective de racheter ces vies humaines devient plus grande et plus sublime quand on réfléchit qu’à chacune d’elles se rattache une âme, un destin au delà du tombeau, des immortalités multipliées ! quel motif pour le progrès continu des états ! Vous dites que, en dépit des améliorations, on