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acquisitions pour le petit nombre ; mais le paysan est toujours paysan ! La multitude est toujours en bas de la roue ; plus heureuse, dites-vous. Non, car elle n’est pas plus contente ! Jamais, serf n’eut plus soif de changement que l’artisan de nos jours ; et les machines à vapeur ont leurs victimes tout comme l’épée.

Vous parlez de législation. Toutes les lois isolées préparent les voies aux grands bouleversements dans la forme du gouvernement. Émancipez les catholiques, et vous ouvrez la porte au principe démocratique qui veut que l’opinion soit libre. Si elle est libre pour le sectaire, elle doit l’être aussi pour l’électeur. Le scrutin est le corollaire du bill d’émancipation catholique. Accordez le scrutin, et son nouveau corollaire, le suffrage étendu. Le suffrage étendu n’est séparé du suffrage universel que par une mince épaisseur : c’est le cercle qui s’étend sur l’eau. Le suffrage universel à son tour, c’est la démocratie. La démocratie est-elle préférable à la république aristocratique ? Voyez les Grecs, qui connaissaient ces deux formes de gouvernement, sont-ils restés d’accord sur la meilleure ? Platon, Thucydide, Xénophon, Aristophane : le rêveur, l’historien, l’homme d’action, avec ses principes philosophiques, l’homme d’esprit avec sa pénétration, ne placent pas leur idéal dans la démocratie ! Algernon Sydney, le martyr de la liberté, n’accorde pas le gouvernement à la multitude. Brutus mourut pour une république, mais une république de patriciens ! Quelle forme de gouvernement est la meilleure ? Tous se disputent, les plus sages ne peuvent s’accorder. Un grand nombre disent toujours : « La république ; » pourtant vous admettrez vous-même que la Prusse despotique fait tout ce que font les républiques. Oui ; mais un bon despote est un heureux accident ; c’est vrai, mais une république juste et bienfaisante est jusqu’ici un phénomène tout aussi passager. Quand le peuple n’a pas de tyran, l’opinion publique le devient. Nul secret espionnage n’est plus intolérable à un esprit libre que le regard curieux et perçant de l’œil américain.

Une république rurale n’est qu’une tribu patriarcale. Pas d’émulation, pas de gloire : la paix et la stagnation. Quel Anglais, quel Français voudrait être Suisse ? Une république commerciale n’est qu’une admirable machine à faire de l’argent. L’homme n’est-il donc créé pour rien de plus noble que de fréter des navires, et de spéculer dans les soies et les sucres ? La vérité c’est qu’il n’y a pas de but certain dans