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l’Espagne avant qu’elle fût retombée dans une seconde enfance, les Républiques italiennes et celles de la Grèce, la reine des Sept-Collines ; quelles luttes, quelles persécutions, quels massacres ! À quelle page d’histoire pourrons-nous dire : « Ici le progrès a diminué la somme des maux ». Étendez aussi votre regard au-delà de l’état en lui-même ; chaque pays a gagné ce qu’il a acquis au prix des douleurs des autres nations. L’Espagne s’élève au-dessus du vieux monde sur les ruines ensanglantées du Nouveau-Monde ; ce sont les gémissements et l’or du Mexique qui produisent les splendeurs du règne de Charles-Quint.

Considérez l’Angleterre ; la sage, la libérale, la libre Angleterre, par quelles luttes n’a-t-elle pas passé ? et encore se trouve-t-elle enfin satisfaite ? La sombre oligarchie des Normands, nos invasions criminelles de l’Écosse et de la France, le peuple livré à de continuelles rapines, les rois massacrés, les persécutions dont furent victimes les premiers réformateurs, les guerres de Lancastre et d’York, la nouvelle dynastie des Tudors qui retarda le règne de la liberté en même temps qu’elle avança celui de la civilisation ! La réformation bercée sur le sein d’un affreux despote, et allaitée par la violence et la rapine, les bûchers de Marie Tudor, et les cruautés plus subtiles d’Élisabeth, l’Angleterre fortifiée par la désolation de l’Irlande, les guerres civiles, le règne de l’hypocrisie suivi par le règne du vice éhonté ; la nation qui avait décapité le gracieux Charles Ier, regardant indifférente l’échafaud du fier Sydney, l’inutile révolution de 1688 qui, si elle fut un jubilé en Angleterre, fut un massacre en Irlande ; les vains triomphes de Malborough, la corruption organisée de Walpole, nos guerres acharnées contre nos fils d’Amérique, nos luttes épuisantes avec Napoléon !

Eh ! bien, nous fermons le livre et nous disons : Voyez ! mille années de luttes et d’afflictions incessantes ! des millions d’hommes ont péri, mais l’art a survécu, nos paysans portent des bas, nos femmes boivent du thé, nos poètes lisent Shakespeare, et nos astronomes ont dépassé Newton ! Sommes-nous plus satisfaits ? Non ; au contraire, nous sommes plus inquiets que jamais. De nouvelles classes arrivent au pouvoir ; on exige de nouvelles formes de gouvernement. Toujours les mêmes mots d’ordre : la liberté ici ; la religion là ; l’ordre, pour une faction ; le progrès pour l’autre. Où est le but, et qu’avons-nous gagné ? On écrit des livres, on tisse des soieries, on construit des palais ! Ce sont de grandes