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gociation fut rompue, sans rancune de part ni d’autre. Plus tard le siège se retrouva vacant ; le frère de lady Julia (qui venait d’être nommé lord de la Trésorerie) désirait entrer au Parlement : on lui offrit donc de représenter la ville de province en question. Or l’orgueilleux gentilhomme s’était marié dans la famille d’un pair aussi orgueilleux que lui, et le colonel Maltravers était fort content toutes les fois qu’il pouvait faire apprécier son importance aux parents de sa femme en leur rendant quelque service. Il écrivit à son régisseur qu’il s’occupât d’arranger convenablement cette affaire, et il arriva le jour de l’élection, pour « partager le triomphe et la peine ». Qu’on devine quelle fut son indignation, en trouvant que le neveu de sir Grégory Gubbins était déjà sur le terrain ! Le résultat de l’élection fut la nomination de M. Auguste Gubbins ; le colonel Maltravers fut poursuivi par une grêle de trognons de choux, et accusé d’avoir voulu vendre à un candidat du gouvernement les suffrages des dignes et libres électeurs de la ville de ***. Honteux et indigné le colonel Maltravers quitta Lisle Court, et se retira de nouveau sur le continent.

Une semaine environ avant la date de ce chapitre, il était arrivé à Londres, de retour de Vienne, avec lady Julia. Une nouvelle mortification y attendait le malheureux propriétaire de Lisle Court. On avait créé une compagnie de chemin de fer, dont sir Grégory Gubbins était le principal actionnaire ; et le spéculateur, M. Auguste Gubbins, « un des hommes les plus utiles de la Chambre, » s’était chargé d’en faire accepter le projet au parlement. Le colonel Maltravers reçut une lettre d’une grandeur démesurée, contenant la carte des lieux que devait traverser ce bienheureux chemin de fer ; et, ô stupeur ! au fond de son parc s’étendait une ligne qui lui indiquait le sacrifice auquel on s’attendait de sa part pour le bien public ; surtout pour le bien de cette ville même dont les habitants l’avaient assailli de trognons de choux ! Le colonel Maltravers perdit complétement patience. Ne connaissant pas nos sages procédés législatifs, il ignorait qu’un chemin de fer à l’état de projet est tout autre chose qu’un chemin de fer terminé ; et que d’ailleurs les comités parlementaires ne se montrent rien moins que favorables à des projets qui ont pour résultat d’amener le public dans le parc d’un gentilhomme.

« Il devient impossible de vivre dans ce pays, dit-il à lady Julia ; d’année en année l’état des choses s’y empire. Je