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le réel du chimérique, l’ombre de la réalité ; elle avait acquis le contentement du présent, et elle regardait l’avenir avec un calme sentiment d’espérance. Sa réputation était toujours sans tache ; ou plutôt chaque année de tentation et d’épreuve y ajoutait un plus pur éclat. L’amour, qui aurait pu la perdre, une fois vaincu, l’avait protégée contre tout nouveau danger. La première entrevue de Maltravers avec Valérie fut, à la vérité, accompagnée d’un peu d’embarras et de réserve ; mais non la seconde. Une seule fois, indirectement, ils firent allusion au passé ; et à partir de ce moment, comme par un accord tacite il naquit entre eux une véritable amitié. Ni l’un ni l’autre n’éprouva d’humiliation en songeant à une illusion qui s’était dissipée ; ils n’étaient plus les mêmes aux yeux l’un de l’autre. Tous deux s’étaient perfectionnés, sans doute ; mais la Valérie, mais l’Ernest de Naples étaient parmi les choses mortes et ensevelies. Peut-être le renouvellement de leur connaissance réconciliait-il encore mieux le cœur de Valérie avec la guérison de son mal si doux et si plein de charmes. Ce logicien mûr et plein d’expérience, chez qui l’enthousiasme avait subi sa commune métamorphose, et qui avait le front calme et l’aspect imposant qui siéent à l’âge mûr, était un être tout différent de l’adolescent romanesque pour qui le monde réel, avec ses travaux et ses plaisirs civilisés, était tout nouveau, et qui revenait de l’Orient l’esprit plein des rêves dorés de la poésie, de la poésie libre encore de tout poème et de toute action. Valérie ne retrouvait plus en lui les erreurs brillantes, les aspirations hardies, les gestes animés et la brûlante éloquence qui l’avaient intéressée et charmée sur les rivages de Baïa, et dans les salles sépulcrales de Pompéi. La belle Française aurait pu de tout temps éprouver sans danger de l’amitié pour le Maltravers qu’elle voyait aujourd’hui devant elle, bien qu’il fût plus sage, meilleur, plus noble, et même plus beau que jadis, car c’était un de ces hommes auxquels l’âge mûr sied mieux que la jeunesse. Il ne lui apparaissait pas comme il l’était véritablement, le développement naturel, mais le contraste même du jeune homme ardent, variable, plein d’imagination à côté de qui elle avait contemplé les vagues éclairées par la lune et les cieux rosés de la suave Parthénope. Comment se fait-il que le temps, après une longue absence, nous montre de pareils contrastes entre l’être dont nous nous souvenons et celui que nous voyons ? Quelle douloureuse raillerie de nos pauvres cœurs qui rêvent des impressions