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« Je n’aime pas les rues de Paris, où je ne puis marcher que dans le ruisseau ; je n’aime pas ses boutiques qui ne contiennent absolument que ce qu’on expose dans la vitrine ; je n’aime pas ses maisons, semblables à des prisons, dont les fenêtres donnent sur des cours ; je n’aime pas ces beaux jardins où il ne pousse jamais autre chose qu’un amour en plâtre ; je n’aime pas les feux de bois qui exigent autant de petits soins que les femmes, et qui ne vous chauffent que les paupières ; je n’aime pas la langue française avec ses grandes phrases à propos de rien, qui vibrent comme un balancier de pendule entre le ravissement et le désespoir ; je n’aime pas l’accent qu’on ne peut attraper sans parler du nez ; je n’aime pas le bruit et l’embarras qu’on fait éternellement à Paris à propos de livres sans naturel et de révolutions sans résultats ; je ne m’intéresse pas à des histoires dont le héros est un âne mort, ni à des constitutions qui donnent le scrutin aux représentants, sans permettre le suffrage au peuple ; je n’ai pas mon plus grande foi dans un enthousiasme pour les beaux-arts qui ne produit d’autres fruits qu’une musique exécrable, d’affreux tableaux, une sculpture abominable, et quelque chose d’assez drôle que les français décorent, je crois, du titre de Poésie. La danse et la cuisine, voilà les arts où les Français excellent, j’en conviens, et ce sont d’excellentes choses. Mais, ô Angleterre ! ô Allemagne ! Vous auriez tort d’être jalouses de votre rivale ! »

Ce ne sont pas là les opinions de l’auteur ; il les désavoue complètement ; elles appartiennent à M. Cleveland ; M. Cleveland était un homme plein de préjugés. Maltravers était plus libéral ; mais aussi Maltravers n’avait pas la prétention d’être un bel esprit.

Maltravers était déjà depuis plusieurs semaines dans la ville par excellence, et pour le moment il habitait seul un appartement du sombre mais intéressant faubourg Saint-Germain. Car Cleveland, après avoir pendant huit jours suivi une vente, bouleversé tous les magasins de curiosités de Paris, et expédié assez de bronzes, de bahuts, de soieries de Gênes, et d’objets d’art de toute espèce, pour meubler à demi Fonthill, avait accompli sa mission, et s’en était retourné dans sa villa. Avant de partir, le vieux gentilhomme s’était flatté que le changement d’air et de lieux avait déjà fait du bien à son ami, et que le temps achèverait la guérison