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ques. Concentré dans l’orgueilleux dédain que lui inspirait ce qu’il considérait comme des luttes de factions se disputant des jouets et des ombres, Maltravers demeura silencieux. Et bientôt on se leva de table pour se rendre à la salle du bal.


CHAPITRE III

Le plus grand défaut de la pénétration n’est pas de n’aller point jusqu’au bout, c’est de le passer.
(La Rochefoucauld.)

Éveline avait attendu le bal de Knaresdean avec des sentiments plus sérieux que ceux qui enflamment habituellement l’imagination d’une jeune fille, fière de sa toilette, et sûre de ses charmes. Qu’elle aimât ou qu’elle n’aimât pas Maltravers selon la véritable acception du mot amour, il est certain que celui-ci avait acquis un empire bien puissant sur l’esprit et l’imagination de la jeune fille. Elle prenait le plus profond intérêt à son bonheur, elle était on ne peut plus inquiète d’obtenir son estime ; elle éprouvait le plus cruel regret à la pensée qu’il pût y avoir de la froideur entre eux. À Knaresdean elle devait rencontrer Maltravers ; au milieu de la foule, il est vrai ; mais enfin elle le rencontrerait ; elle le verrait dominer de sa supériorité tout son entourage ; elle l’entendrait louer ; elle le verrait en butte à l’observation de tous. Mais il y avait en elle une autre source de joie plus profonde encore : elle avait reçu le matin même une lettre d’Aubrey dans laquelle il lui annonçait son arrivée pour le jour suivant. Cette lettre, bien qu’affectueuse, était courte. Éveline était absente depuis plusieurs mois : lady Vargrave était impatiente de la voir de retour ; cependant elle lui laissait le libre choix de revenir avec le pasteur, ou de rester. Or, sans compter le plaisir qu’elle éprouverait à revoir le cher vieillard, à apprendre de sa bouche que sa mère était heureuse et bien portante, Éveline saluait dans son arrivée les moyens de sortir de sa position vis-à-vis lord Vargrave. Elle confierait à Aubrey la répugnance