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soin prudent. Il ne risquait pas un seul mot qui pût lui attirer un refus de reconnaître ses droits ; mais en même temps nul amant n’eût pu se montrer plus constant, plus empressé dans ses attentions. En présence du monde, il avait un air de familière intimité, qui semblait revendiquer un droit ; mais il évitait scrupuleusement de l’invoquer vis-à-vis d’Éveline. Rien ne pouvait être plus respectueux, plus timide même que son langage ; et en même temps rien n’était plus calme, plus confiant que son attitude. N’ayant pas beaucoup de vanité, ni un amour-propre très-développé, il ne se faisait pas illusion au point de s’imaginer qu’il pût gagner le cœur d’Éveline. Il cherchait plutôt à embarrasser son jugement, à l’enlacer dans ses toiles, d’autant plus dangereuses qu’elles étaient invisibles. Il semblait considérer leur mutuel engagement comme un fait acquis, comme quelque chose que rien au monde ne pouvait ébranler : la main d’Éveline lui appartenait de droit, mais c’était son cœur seul qu’il cherchait avec tant de sollicitude à gagner. Néanmoins cette distinction était indiquée par insinuation avec tant de délicatesse, elle était présentée sous une forme si peu saisissable, que, malgré le vif désir qu’éprouvait Éveline d’en venir à une explication, une femme de beaucoup plus d’expérience qu’elle eût été embarrassée pour savoir comment en amener une.

Éveline brûlait de se confier à Caroline, de la consulter. Mais Caroline, quoiqu’elle fût toujours bonne pour elle, était devenue froide et réservée.

« Je voudrais bien savoir quel ton je dois prendre avec lord Vargrave, dit Éveline, un soir qu’elle était assise dans la chambre de Caroline. Je suis de plus en plus convaincue tous les jours que notre union est impossible ; et pourtant je n’ai jamais l’occasion de le lui dire, précisément parce qu’il ne m’en parle jamais. Je voudrais bien que vous fussiez assez bonne pour vous charger de cette tâche, vous paraissez si bien avec lui.

— Moi ! dit Caroline en changeant de visage.

— Oui, vous ! Voyons, ne rougissez pas ainsi, ou je croirai que vous enviez mon sort. Ne pourriez-vous pas nous épargner à tous deux le chagrin qui nous attend nécessairement l’un et l’autre, si vous ne nous venez en aide ?

— Lord Vargrave m’en aurait fort peu de reconnaissance. D’ailleurs, Éveline, réfléchissez ; il vous est presque impossible de rompre cet engagement, maintenant.