Page:Bulwer-Lytton - Alice ou les mystères.pdf/18

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’il avait beaucoup vécu en Orient. La mort d’une demoiselle qu’il devait épouser a, dit-on, troublé et changé son caractère. Depuis cet évènement il n’est plus revenu en Angleterre. Lord Vargrave pourra vous en dire plus que moi au sujet de Maltravers.

— Lord Vargrave ne pense à rien de ce qui n’est pas sur la scène du monde, dit Éveline.

— Je suis bien sûre que vous lui faites injure, dit mistress Leslie, qui releva la tête et fixa les yeux sur le visage d’Éveline ; car vous n’êtes pas sur la scène du monde, vous. »

Éveline fit une petite moue, une très-petite moue de ses jolies lèvres, mais elle ne répondit pas. Elle ramassa la musique, s’assit au piano, et se mit à étudier les nouvelles mélodies. Lady Vargrave écoutait tout émue ; et quand Éveline, dont la voix avait peu de puissance, mais possédait un charme exquis, chanta les paroles, sa mère détourna la tête, et, presque à son insu, quelques larmes coulèrent silencieuses le long de ses joues.

Lorsque Éveline s’arrêta, fort attendrie elle-même, car ces vers respiraient un profond sentiment de mélancolie, elle se rapprocha de sa mère, et, voyant son émotion, elle essuya avec ses baisers les larmes qui mouillaient les yeux pensifs de lady Vargrave. Toute sa gaîté s’enfuit ; elle s’assit sur un tabouret aux pieds de sa mère, lui prit la main entre les siennes, et ne bougea plus, jusqu’au moment où l’on se retira pour la nuit.

Et lady Vargrave bénit Éveline, et sentit que, si elle était éprouvée, du moins elle n’était pas seule.