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semblait s’être acharnée sur la famille Legard. Une année après être revenu s’établir dans le comté de B***, l’amiral se trouva sans femme et sans enfants. Il tourna alors ses affections vers son neveu, et bientôt il l’aima plus encore qu’il n’avait aimé ses enfants. Quoique l’amiral fût à son aise, il n’était pas opulent : néanmoins il déboursa l’argent nécessaire à l’avancement de Georges dans l’armée, et doubla la pension que lui allouait le Duc. Celui-ci, en apprenant cet acte de générosité, s’avisa tout à coup qu’il avait une nombreuse famille ; que le marquis, son fils, était sur le point de se marier, allait avoir besoin qu’on augmentât son revenu : qu’il s’était déjà conduit très-généreusement à l’égard de son neveu ; et le résultat de ces découvertes fut que le duc retira à ce dernier les deux cents livres qu’il lui faisait. Legard néanmoins, qui considérait son oncle comme une mine inépuisable, continua de faire des victimes et des dettes ; si bien qu’un beau matin il se réveilla en prison. On fit appeler précipitamment l’amiral à Londres. Il arriva ; il paya les créanciers, munificence qui lui causa une gêne sérieuse ; il jura, il tempêta, il cria ; et finalement il insista pour que Legard quittât ce diable de régiment, où il était maintenant capitaine, qu’il se retirât en demi-solde, et qu’il apprît à devenir économe et à changer d’habitudes en voyageant sur le continent.

L’amiral, brave homme quoique un peu bourru, avait deux ou trois singularités. D’abord il se piquait d’indépendance ; puis il était tant soit peu démocrate (étrange anomalie chez un amiral) ; peut-être était-ce par suite de ce que deux ou trois jeunes lords lui avaient passé sur le corps, dans le commencement de sa carrière. Il exigea que son neveu (dont il voulait posséder exclusivement les affections) rompît avec toutes ses grandes connaissances, qui le précipitaient dans un océan de dépenses, et ne lui tendaient jamais la moindre planche pour l’empêcher de se noyer.

En second lieu, sans être avare, l’amiral avait une bonne dose d’économie dans le caractère. Il n’était pas homme à se laisser ruiner par son neveu : le jeu (l’une des habitudes élégantes de Georges) lui inspirait un sentiment d’horreur extraordinaire et suranné, il déclara positivement à son neveu qu’il fallait, tant qu’il serait garçon, qu’il apprît à se contenter de sept cents livres sterling de revenu[1].

  1. 17,500 francs.