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La vue des écuries rappela à Caroline les chevaux arabes ; et au mot de chevaux lord Doltimore saisit le bras de Legard, et l’entraîna pour passer l’examen des animaux. Caroline, son père, et l’amiral les suivirent. M. Cleveland était chaussé légèrement ; les dalles qui pavaient la cour paraissaient humides ; et M. Cleveland, comme presque tous les vieux célibataires, avait toujours une crainte prudente de s’enrhumer. Il s’excusa donc, et ne s’aventura pas au dehors. Il causait avec Éveline au sujet des Digby, et lui racontait une foule d’anecdotes relatives à sir Kenelm, au moment où les autres partirent si subitement. L’intérêt d’Éveline se trouvait éveillé, et elle insista pour lui tenir compagnie. Le vieux gentilhomme se sentit flatté ; il jugea que miss Cameron était fort bien élevée. Les enfants se sauvèrent pour aller renouer connaissance avec le paon qui, perché sur une marche de pierre, étalait son riche plumage au soleil.

« Il est étonnant, dit Cleveland, combien certains traits de famille se transmettent de génération en génération ! On retrouve encore chez Maltravers le front et les sourcils des Digby, ce front singulièrement pensif et rêveur, que vous avez observé dans le portrait de sir Kenelm. Naguère il avait aussi la même tendance à la rêverie, mais il l’a perdue, en partie du moins. Il a de grandes qualités, miss Cameron. Je l’ai connu depuis sa naissance. J’espère bien que sa carrière n’est pas encore terminée. S’il pouvait seulement former des liens qui l’attachassent à l’Angleterre, j’augurerais plus favorablement encore de son avenir, que je ne le faisais lorsque c’était un ardent adolescent, qui embrasait toutes les têtes de l’université de Gottingen !

« Mais nous parlions de portraits de famille. Il y en a un dans la salle d’entrée que vous n’avez peut-être pas remarqué. Il est à moitié effacé par le temps et l’humidité ; pourtant c’est le portrait d’un personnage remarquable, parent de la famille de Maltravers par le mariage d’un de ses ancêtres, lord Falkland, le Falkland de Clarendon. Un homme d’un caractère faible, mais que l’histoire a rendu intéressant. Il n’était nullement fait pour les rudes épreuves de l’époque orageuse au milieu de laquelle il vivait ; il soupirait après la paix, quand son âme aurait dû être tout entière à la guerre ; toujours également consumé de remords, qu’il embrassât la cause du parlement ou celle du roi. Néanmoins c’est un personnage environné de certains souvenirs élégants et attachants ; c’était un soldat philosophe, doué d’un