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faitement. Il avait vu la veille, dans le petit cabinet de travail, le livre où se trouvait le passage en question ; et il quitta la bibliothèque pour aller le chercher.

Pendant qu’il remuait des volumes qui se trouvaient rangés sur le bureau, il éprouva la curiosité, naturelle chez un homme d’étude, de savoir quelles étaient maintenant les lectures favorites de son hôte. Il remarqua avec étonnement que la plupart des livres qui, à en juger par les feuilles repliées et les notes au crayon, semblaient avoir été le plus fréquemment consultés, n’étaient pas d’un caractère littéraire. C’étaient principalement des ouvrages scientifiques ; et l’astronomie paraissait être devenue sa science de prédilection. Cleveland se rappela alors qu’il avait entendu Maltravers parler à un architecte employé aux récentes réparations, de la construction d’un observatoire.

« Voilà qui est fort singulier, se dit-il en lui-même ; il abandonne la littérature, dont les succès lui étaient assurés, et se consacre à la science, à un âge où il est trop tard pour soumettre son esprit à l’austère discipline des travaux scientifiques. »

Hélas ! Cleveland ne comprenait pas qu’il y a des moments dans la vie où les esprits ardents cherchent à endormir, à émousser leur imagination. Encore moins comprenait-il que lorsqu’on refuse obstinément de consacrer ses facultés actives aux intérêts universels du monde, ces facultés se retournent vers les sentiers des recherches les moins sympathiques à leur véritable génie. Ce n’est que par le choc des esprits que chaque intelligence apprend à connaître ce qu’elle est capable de produire. Quand nous sommes abandonnés à nous-mêmes, nos talents ne deviennent que des excentricités intellectuelles.

Quelques notes éparses, de l’écriture de Maltravers, tombèrent de l’un des volumes. Plusieurs de ces papiers n’étaient que des calculs algébriques, ou de concises remarques scientifiques, que la nature des études de M. Cleveland ne lui permettait pas d’apprécier ; mais d’autres contenaient des fragments détachés de poésie triste et passionnée, qui prouvaient que l’ancienne source d’inspiration poétique existait encore chez Maltravers, quoiqu’elle fût cachée à tous les yeux. Cleveland crut pouvoir se permettre de parcourir ces vers : ils semblaient attester un état d’esprit qui l’intéressa profondément, et l’attrista beaucoup. Ils exprimaient, à la vérité, une ferme résolution de lutter courageusement