Page:Bulwer-Lytton - Alice ou les mystères.pdf/154

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les occupations opposées, ou simplement les années ont-elles donc suffi à creuser un abîme entre nous ? Pourquoi ne serions-nous plus amis ?

— Amis ! répéta Maltravers : à notre âge on ne doit pas prononcer ce mot-là à la légère ; l’amitié ne se forme plus aussi étourdiment que lorsque nous étions plus jeunes.

— Mais ne pouvons-nous la renouveler ?

— Les sentiers que nous suivons dans la vie sont différents ; et si je devais analyser vos motifs et votre carrière avec l’œil scrutateur de l’amitié, cela ne servirait sans doute qu’à nous séparer davantage. Je suis las de la grande jonglerie de l’ambition ; et je n’ai pas de sympathie de reste pour les charlatans qui se glissent dans une bouteille, ou qui avalent un sabre nu.

— Si vous méprisez cette comédie, alors rions-en ensemble, car je suis aussi sceptique que vous.

— Ah ! dit Maltravers avec un sourire moitié triste moitié amer ; si vous n’étiez pas vous-même un de ces charlatans !

— Qui donc serait plus capable qu’un initié de juger des mystères d’Éleusis ? Mais, sérieusement, pourquoi donc les dissidences politiques entraveraient-elles les amitiés particulières ? Grâce au ciel, cette doctrine-là n’a jamais été la mienne.

— Si ces différences résultent, de part et d’autre, de convictions honnêtes, non certes ! Mais êtes-vous convaincu, Lumley ?

— Ma foi, j’ai pris l’habitude de le croire ; et l’habitude est une seconde nature. Néanmoins, comme je pense bien que nous nous rencontrerons encore un jour dans l’arène, il ne faut pas que je vous révèle mes côtés faibles. Comment se fait-il, Maltravers, qu’on vous voie si peu au presbytère ? Vous y êtes très-bien vu. Avez-vous quelque bon bénéfice que Charles Merton pourrait occuper en même temps que le sien ?… Vous secouez la tête… Que pensez-vous de ma future, miss Cameron ?

— Vous parlez légèrement. Peut-être….

— Que je sens profondément, alliez-vous dire. Oui, effectivement. En obtenant la main de ma pupille, Éveline Cameron, j’espère obtenir en même temps le bonheur domestique que je n’ai jamais connu, et la fortune nécessaire à ma carrière. »

Lord Vargrave continua après un moment de silence :

« Quoique mes affaires m’aient beaucoup éloigné d’Éve-