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lança sur lui, en aboyant ; il leva les yeux, et il aperçut un homme qui suivait à pas lents un des sentiers dont le bois était sillonné. Il reconnut Maltravers. C’était la première fois qu’ils se revoyaient depuis le jour où ils s’étaient rencontrés chez Florence, quelques semaines avant sa mort. Un remords de conscience fit tressaillir le cœur froid de l’intrigant. Les années s’écartèrent pour lui laisser voir le passé ; il se rappela le jeune homme généreux et ardent auquel il avait donné le nom d’ami, avant que le caractère et la carrière de l’un ou de l’autre se fussent dessinés. Il se souvint de leurs fantasques aventures, de leurs joyeuses folies dans de lointaines contrées, où ils avaient été tout l’un pour l’autre. L’adolescent imberbe, dont le cœur et la bourse lui étaient toujours ouverts, et que lui, le plus âgé et le plus sage, avait entraîné à des fautes de jeunesse et de passion inexpérimentée, se dressa devant lui en contraste avec l’air grave et mélancolique de l’homme désenchanté et solitaire qui s’avançait lentement vers lui en ce moment : l’homme dont il avait contribué à briser la glorieuse carrière ; l’homme dont ses intrigues avaient prématurément aigri le cœur ; l’homme dont les plus belles années s’étaient écoulées dans l’exil, sacrifiées à cette tombe qu’avait creusée un égoïste et infâme complot ! et Cesarini… Cesarini enfermé dans un hôpital de fous ! telles furent les visions que l’aspect de Maltravers évoqua. Une voix prophétique qu’éveilla ce remords momentané et inaccoutumé murmura au fond de l’âme de Vargrave : « Oses-tu croire que tes manœuvres réussiront, et que ton ambition sera couronnée de succès ? » Pour la première fois de sa vie peut-être, cet homme à l’imagination froide et calme éprouva un pressentiment mystérieux et sinistre.

Ils se rencontrèrent donc en face. Avec une émotion qui semblait émaner d’un sentiment honnête et vrai, Lumley tendit silencieusement la main à Maltravers, en détournant la tête à demi.

« Lord Vargrave ! dit Maltravers avec une égale agitation, il y a longtemps que nous ne nous sommes rencontrés.

— Oui, bien longtemps, répondit Lumley en s’efforçant de retrouver son sang-froid, les années nous ont changés l’un et l’autre ; mais j’espère qu’elles vous ont laissé, comme à moi, le souvenir de notre ancienne amitié. »

Maltravers garda le silence, Vargrave continua :

« Vous vous taisez, Maltravers. Les dissidences politiques,