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souvent malheureuse de penser qu’il n’a pas épousé une femme plus digne de son affection, et… mais à présent les regrets sont superflus !

— Je souhaiterais que ce fût là votre véritable peine, dit mistress Leslie ; car vous me paraissez toujours en proie à des regrets d’un autre genre ; et je ne crois pas que vous ayez encore oublié les chagrins de votre jeunesse.

— Ah ! comment le pourrais-je ? dit lady Vargrave de ses lèvres tremblantes. »

En ce moment une ombre légère se projeta sur la pelouse inondée de soleil, devant les fenêtres, et on entendit chanter à une petite distance une jeune voix, pure et joyeuse. Un instant après, une belle jeune fille, dans la première fleur de l’âge, courut légèrement sur le gazon et s’arrêta devant les deux amies.

Il y avait un contraste saisissant entre le calme et le repos des deux personnes que nous venons de décrire : l’une avec son grand âge et ses cheveux blancs, l’autre avec ses traits pleins de résignation et de douce mélancolie, et la démarche joyeuse, les yeux riants, la fraîcheur rayonnante de la nouvelle venue. Aux rayons du soleil couchant qui illumimait ses opulents cheveux blonds, sa figure gaie, sa taille flexible, on eût dit une apparition presque trop radieuse pour cette terre de douleur, une créature faite de lumière et de félicité, que les Grecs amoureux de la forme eussent placée au nombre des divinités du ciel, et qu’ils eussent adorée sous le nom d’Aurore ou d’Hébé.

« Ah ! comment pouvez-vous rester dans la maison quand la soirée est si belle ? Venez, ma chère mistress Leslie ; venez, ma mère, ma chère mère ; vous savez que vous me l’avez promis ; vous avez dit que vous viendriez lorsque je vous appellerais. Voyez, il ne pleuvra plus, et après l’averse les myrtes et les parterres de violettes sont si frais.

— Ma chère Éveline, dit mistress Leslie en souriant, je ne suis pas si jeune que vous.

— Non, mais vous êtes tout aussi rieuse quand vous n’avez rien qui vous attriste ; et qui est-ce qui voudrait être triste d’un temps pareil ? Permettez-moi de faire apporter votre chaise, et laissez-moi la rouler ; je suis sûre que j’en viendrai à bout. À bas, Sultan, à bas ! Ah ! vous m’avez donc trouvée à la fin, monsieur ? Allons, tout doux, monsieur, à bas ! »

Cette dernière exhortation s’adressait à un superbe chien