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ils l’admiraient, ils avaient confiance en lui ; mais ces diables de gentilshommes de province, et cet imbécile de public !

Inquiet, tourmenté, fatigué, l’intrigant se vit réduit à la soumission, pour le moment du moins ; et plus que jamais il sentit combien la fortune d’Éveline lui devenait nécessaire, dans le cas où les chances du jeu viendraient à le priver de ses appointements. Il était bien aise de reprendre haleine un instant, en échappant aux vexations et aux inquiétudes qui l’assaillaient, et il devançait de ses vœux avec l’intérêt ardent d’un esprit élastique et impétueux, prompt à se lancer d’une intrigue dans l’autre, son excursion dans le comté de B***.

À la villa de M. Douce, lord Vargrave rencontra un jeune gentilhomme qui venait d’hériter d’une fortune non-seulement grande et indépendante, mais de nature à lui donner de l’importance aux yeux des hommes politiques. Les domaines de lord Doltimore, situés dans un très-petit comté, lui assuraient la nomination de l’un des représentants, au moins ; tandis qu’un petit village qui s’élevait derrière son parc constituait un bourg, et envoyait deux membres au parlement. Lord Doltimore, qui arrivait du continent, n’avait pas même pris encore son siège à la Chambre des Lords, et quoique ses relations de famille, d’ailleurs assez modestes et peu importantes, fussent ministérielles, il n’avait pas encore révélé ses opinions.

Lord Vargrave combla d’attentions ce jeune gentilhomme : il possédait éminemment le don de plaire à des hommes plus jeunes que lui, et il réussit complètement dans ses desseins sur les affections de lord Doltimore.

Ce dernier était un petit homme pâle, possesseur d’une intelligence fort bornée, hautain de manières, recherché dans son costume, assez bon enfant au fond, et ayant beaucoup du gentilhomme anglais dans le caractère ; c’est-à-dire qu’il était honorable dans ses idées et dans ses actions, toutes les fois que sa bêtise naturelle et son éducation négligée lui permettaient de distinguer, à travers le brouillard des préjugés, les illusions des autres et les fausses lumières de la société dissipée au milieu de laquelle il avait vécu, le bien du mal. Mais les traits principaux de son caractère étaient la vanité et l’amour-propre. Il avait beaucoup fréquenté des cadets de famille, mieux doués que lui comme intelligence, qui lui empruntaient son argent, lui vendaient leurs chevaux, et le