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chef de l’opposition lui répondit avec un calme amer ; en citant quelques-unes des phrases acérées de Lumley, il se tourna vers le premier ministre, en disant :

« Sont-ce là aussi les opinions du noble lord ? Je demande une réponse ; j’ai le droit de demander une réponse. »

Lumley tressaillit en entendant le ton significatif dont son chef prononça les mots : Écoutez, écoutez !

À minuit le premier ministre termina le débat ; son discours fut court et caractérisé par une grande modération. Quand il en vint à la question qui lui avait été adressée, un grand silence se fit ; on aurait entendu tomber une épingle. Les membres de la Chambre des Communes placés derrière le trône s’avancèrent avec empressement ; leurs physionomies étaient pleines d’inquiétude et de curiosité.

« Je suis appelé à déclarer, dit le ministre, si les sentiments exprimés par mon noble ami sont aussi les miens, en ma qualité de conseiller principal de la couronne. Mylords, on ne doit pas peser trop scrupuleusement, ni interpréter trop strictement chaque mot qui se dit dans la chaleur du débat. (Écoutez, écoutez ! ironiquement du côté de l’opposition, avec approbation sur les bancs de la Trésorerie.) Mon noble ami doit désirer sans doute vous expliquer lui-même ce qu’il a voulu dire. J’espère que son explication contentera pleinement le noble lord, la chambre, et je n’en doute même pas, le pays. Mais puisque je suis invité à donner une réponse catégorique à une question catégorique, je dois dire sans hésiter que, si ces sentiments ont été bien interprétés par le noble lord qui a parlé en dernier lieu, ces sentiments ne sont pas les miens, et n’animeront jamais la conduite d’un cabinet dont je serai membre. (Longs applaudissements de la part de l’opposition.) En même temps, je suis convaincu que la signification des paroles de mon noble ami n’a pas été bien comprise ; et jusqu’à ce que lui entende réfuter mon explication, je me hasarderai à vous suggérer ce que, selon moi, il a voulu vous dire, mylords. »

Ici le premier ministre, avec une adresse qui ne pouvait tromper personne, mais que tous durent admirer, dépouilla chacune des malencontreuses phrases de lord Vargrave de toute syllabe qui pût offenser qui que ce fût, il travestit ses épigrammes mordantes et ses violentes dénonciations en un inoffensif assemblage de lieux communs.

La Chambre était fort agitée ; on interpella lord Vargrave, et lord Vargrave se leva sur-le-champ. C’était précisément