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La dernière visite qu’il avait faite à lady Vargrave, et sa conversation avec Éveline lui avaient laissé une impression de malaise et de crainte. Dans les premières années de ses relations avec Éveline, sa bonne humeur, sa galanterie et ses cadeaux n’avaient pas manqué d’attacher le cœur de l’enfant au visiteur agréable et généreux qu’on lui avait appris à regarder comme un parent. Ce ne fut qu’en grandissant, et lorsqu’elle commença à comprendre la nature du lien qui existait entre eux, qu’elle repoussa ses familiarités ; dès ce moment seulement il commença à douter de la réalisation des vœux de son oncle. Pendant sa dernière visite ses doutes s’accrurent, et prirent les proportions d’une pénible appréhension. Il vit qu’il n’était pas aimé ; il vit qu’il lui faudrait beaucoup d’adresse et l’absence de rivaux plus fortunés pour s’assurer de la main d’Éveline ; et il maudit les obligations et les intrigues qui le tenaient forcément éloigné d’elle. Il avait songé à persuader à lady Vargrave de la laisser venir à Londres, où il pourrait la surveiller continuellement ; et comme la saison venait de commencer, ses instances pouvaient sembler justes et raisonnables. Mais là encore il y avait de plus grands dangers que ceux qu’il voulait éviter. Londres ! Une beauté et une héritière à la fois, dans tout l’éclat de son premier début ! Que d’admirateurs redoutables s’empresseraient autour d’elle ! Vargrave frissonna en songeant à la foule de jeunes élégants, beaux, brillants, bien mis, séduisants, qui pourraient avoir plus d’attraits pour une jeune fille de dix-sept ans, que l’homme politique déjà sur le retour. C’était un danger ; mais ce n’était pas tout encore : lord Vargarve savait qu’à Londres, la ville des caquets effrontés, du babil impitoyable, tout ce qu’il tenait le plus à cacher à la jeune personne serait divulgué. Il avait été l’amant, non pas d’une seule maîtresse, mais d’une douzaine de femmes, dont il se serait soucié fort peu, si leur faveur n’avait pas servi à étayer sa position dans la société, et si leur influence n’avait pas racheté son défaut de relations politiques héréditaires. La façon dont il réussissait à se débarrasser de toutes ces Arianes, quand il lui paraissait opportun de briser avec elles, n’était pas la preuve la moins éclatante de son adresse diplomatique. Il ne s’en faisait jamais des ennemies. S’il faut en croire la solution qu’il donnait lui-même de ce mystère, il prenait soin de ne jamais faire le galant auprès d’une Dulcinée qui n’eût pas un certain âge. Il disait souvent :