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recrues de son parti avec plus de cordialité et de bon vouloir.

Un pareil ministre ne pouvait manquer d’avoir des partisans dévoués parmi les habiles, les ambitieux et les vaniteux. Il faut aussi avouer qu’il ne négligeait aucun moyen moins honnête ou moins excusable de cimenter sa puissance, en la plaçant sur la base solide de l’intérêt personnel. Aucun agiotage ne lui paraissait trop infâme. Il usait d’une honteuse corruption dans la distribution de son patronage ; et ni les résistances, ni les réprimandes de ses confrères officiels n’avaient le pouvoir de l’empêcher de seconder les prétentions de ses créatures, aux dépens du trésor public. Ses partisans regardaient cet égoïsme charitable comme une preuve de sa fermeté et de son zèle en amitié ; de sorte que cent ambitions différentes se trouvaient liées à l’ambition de ce ministre sans principes.

Mais, outre la notoriété de sa vénalité publique, il y avait certains hommes qui soupçonnaient lord Vargrave d’improbité personnelle : on l’accusait tout bas de vendre les secrets de l’État aux agioteurs, d’avoir un intérêt pécuniaire à faire triompher les prétentions qu’il secondait avec tant d’acharnement. Quoiqu’il n’y eût pas la moindre preuve à l’appui d’une accusation aussi déshonorante, quoique ce ne fût probablement qu’une sourde calomnie, pourtant le seul soupçon de semblables pratiques accroissait l’aversion de ses ennemis, et justifiait le mépris de ses rivaux.

Telle était donc la position de lord Vargrave : soutenu par des partisans intéressés, mais habiles et puissants ; haï dans le pays ; objet de crainte pour quelques-uns de ses collègues, de mépris pour d’autres, d’admiration et de considération pour le reste. C’était une situation qui l’intimidait moins qu’elle ne lui plaisait ; car elle semblait faite pour excuser par la nécessité les habitudes d’intrigue et les manœuvres qui convenaient si bien à son esprit artificieux et rusé. Comme un Grec de l’antiquité, il aimait l’intrigue pour l’intrigue. N’eût-elle mené à aucun but, il l’eût encore aimée pour elle-même. Il se plaisait à s’environner des trames les plus compliquées ; à se faire le centre de mille machinations. Peu lui importait à quel point elles étaient souvent imprudentes et folles. Il se fiait à son ingéniosité, à sa promptitude et à sa bonne fortune accoutumée pour faire jouer tous les ressorts qu’il avait en main, en faveur de cette seule machine : Soi.