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grettaient un camarade de jeux qui s’était montré bien plus affable envers eux que leurs frères aux cravates empesées ; et Éveline était, en tous cas, bien plus sérieuse et plus pensive qu’elle ne l’avait jamais été ; la conversation des autres lui semblait fatigante, vulgaire et monotone.

Maltravers était-il heureux au milieu de ses nouvelles occupations ? Il ne serait pas aisé de débrouiller l’état de son esprit à cette époque. Son âme virile et son caractère orgueilleux luttaient courageusement contre un sentiment qui tendait à se métamorphoser rapidement en passion. Mais quand la nuit il se retrouvait seul dans ses foyers déserts et sans joie, une vision, trop délicieuse pour qu’il osât s’y abandonner, lui apparaissait malgré lui, jusqu’à ce qu’il se réveillât brusquement de sa rêverie, et qu’il dît à son cœur rebelle :

« Encore quelques années et tu auras cessé de battre. Qu’importe une douleur de plus ou de moins dans cette courte vie ? Mieux vaut ne t’attacher à rien ; de cette façon ton artificieux ennemi le destin sera déçu ! Mais sois content de ce que tu es seul ! »

Il était heureux pour Maltravers qu’il fût alors dans son pays natal, et non dans des climats où l’on est stimulé à la poursuite du plaisir plutôt qu’à l’exercice des devoirs ! Dans l’atmosphère vigoureuse de la libérale Angleterre, il fortifiait et il ennoblissait déjà, bien qu’à son insu, son caractère et ses désirs. Notre île se glorifie de ce que l’esclave dont le pied a touché son sol redevient libre. Elle peut se glorifier de plus encore. Dans un pays où on laisse autant à faire au peuple, où la vie de la civilisation n’est pas emprisonnée dans la tyrannie du despotisme central, mais se répand, vivifiante, active, ardente, dans toutes les veines du robuste corps, la province la plus lointaine, le village le plus obscur a des droits à nos efforts, à nos devoirs, et nous oblige à déployer l’énergie du citoyen. L’esprit de liberté, qui fait tomber les fers de l’esclave, unit l’homme libre à son frère. Telle est la religion de la liberté. Et voilà pourquoi les luttes orageuses qu’ont éprouvées les États libres ont porté des fruits de sagesse, de vertu et de génie, par la faveur de Celui qui nous a commandé de nous aimer les uns les autres, non-seulement parce que l’amour par lui-même est chose excellente, mais afin que de l’amour (qui dans son sens le plus étendu n’est que le nom idéal de la liberté) naquit tout ce qu’il y a de meilleur et de plus grand dans notre noble nature.