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auparavant soupçonné Maltravers d’éprouver pour Éveline autre chose que la simple admiration inspirée par sa beauté, ce soupçon se serait dissipé en entendant son commensal lui répondre froidement :

« J’espère que lord Vargrave se montrera digne de son bonheur. Mais, pour en revenir à M. Justis, vous me confirmez dans l’opinion que j’ai de ce mielleux personnage. »

La conversation rentra dans le domaine des affaires. Bientôt Maltravers se leva pour partir.

« Ne voulez-vous pas dîner avec nous aujourd’hui ? dit le recteur hospitalier.

— Merci, non ; j’ai beaucoup d’affaires à régler chez moi, d’ici à quelques jours.

— Embrassez Sophie, monsieur Ernest ; Sophie a été bien sage aujourd’hui. Elle a laissé s’envoler le joli papillon, parce que Éveline a dit que c’était méchant de l’enfermer dans une boîte en carton. Embrassez Sophie. »

Maltravers prit dans ses bras l’enfant (dont il avait complètement gagné le cœur), et la baisa tendrement ; puis il s’avança vers Éveline, et lui tendit la main en fixant sur elle un regard plein d’un intérêt profond et douloureux, qu’elle ne put comprendre.

« Dieu vous bénisse, miss Cameron ! » dit-il ; ses lèvres tremblaient.

Plusieurs jours se passèrent sans qu’on le revît. Tantôt sous prétexte d’occupations, tantôt sous prétexte d’engagements antérieurs, il éluda toutes les invitations du recteur. M. Merton accepta sans défiance toutes ces excuses ; car il savait que Maltravers devait nécessairement être fort occupé.

La nouvelle de son arrivée s’était maintenant répandue aux alentours ; et les familles de son rang, qui se trouvaient encore dans le comté de B***, s’empressèrent de lui présenter leurs félicitations, et de l’accabler de témoignages d’hospitalité. Peut-être le désir de rendre plus vraisemblables les prétextes qu’il avait donnés à Merton, poussa-t-il le seigneur de Burleigh à céder aux autres invitations dont on l’accablait. Mais ce n’était pas tout. Maltravers acquit dans le voisinage une réputation d’homme d’affaires. Il congédia brusquement M. Justis, et, avec le secours d’un sous-intendant, il régit lui-même ses domaines. Le discours qu’il adressa à l’intendant en le congédiant avait le double caractère de rudesse et d’équité qui distinguait Maltravers.

« Monsieur, lui dit-il en terminant ses comptes, je vous