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un voyage

fois étaient précieusement réussis, ils allaient, contents, manger la soupe. Aucun d’eux ne rêvait dans la fièvre, de stupéfier ses contemporains par des excentricités inédites ; aucun d’eux ne poursuivait la formule nouvelle, car la simplicité du temps n’exigeait pas que les peintres montrassent l’esprit d’entreprise sans lequel, aujourd’hui, ils n’arrivent à rien. Heureuses gens ! Quelle paix dans la monotonie de leurs années.

Cependant, l’un de ces peintres d’Allemagne laissa le grand Rhin rapide, s’en fut par le monde, et s’arrêta au bord des lagunes, à Murano. Là, dans l’ardeur des fournaises, le sable fin, froid et gris, le sable de France, se transforme en une matière pleine de soleil et de couleurs : le verre de Venise. Pareillement touché par la flamme, se transforma le cœur sérieux et calme du peintre d’Allemagne. Des forces nouvelles levèrent en lui, il enseigna ce qu’il savait – bien plus, sans doute, qu’il ne savait avant que le paysage de marbre, de ciel et d’eau l’enivrât. Et de lui, sortit l’école de peinture la plus brûlante, la plus libre qui fût jamais.

La vertu, la gravité, la patience allemandes sont mêlées à bien des choses. Elles ont enrichi bien des peuples, donnant à l’un le sens d’honnêteté, à l’autre la pondération, à tous le courage tranquille et des forces de résistance. Peut-être aucune race ne saurait-elle aller jusqu’au bout de son destin si elle n’avait quelques gouttes de sang allemand. Il agit comme la levure dans la pâte. — Seulement, il n’est point la pâte !