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peinte de chic ! — et il les a fait comme il les voyait. Ce ne sont pas les yeux du drille qui, après un peu de flânerie sous les branches, va boire de grands coups en tenant mille propos d’une rude gaieté. Ce sont les yeux de l’homme qui peint, attentif et peureux, tout frémissant de l’âpre lutte, des yeux intenses, au fond desquels il y a un souci passionné.

En face des vieilles régentes, j’ai mieux compris ce regard, et deviné que son bonheur de peindre était mêlé d’une angoisse que le temps, la maîtrise toujours plus grande, loin qu’ils l’apaisassent, augmentaient. Le tableau tragique révèle le cœur du vieil artiste sûr comme jamais de son art, et mieux que jamais, conscient de la difficulté. Il ne se contente plus de sa verve. L’excès de son habileté ne lui inspire que méfiance. Il veut davantage. Il veut se simplifier afin d’atteindre au suprême secret de la vie. Il y atteint par l’hésitation même, si différente de l’étourdissante sûreté de sa jeunesse, par un acharnement où il y a une sorte de sublime humilité.

On est, devant cette tension extrême du génie dépassant ses limites, dans le même état de silence intérieur qu’au fond de la chapelle florentine, près de la grande Nuit. Le cœur suspendu se tait, et l’esprit même, en présence de ces hideuses vieilles émergeant de l’ombre sous la caresse sinistre et glorieuse du soleil couchant…