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ratisbonne

tère si étranges et si forts, qu’en le regardant on sait qu’il « ressemble » ? Mais à quoi ressemble-t-il ?… Le nain oriental me tire par la manche. Il veut me conduire ailleurs, il sautille, impatient. Mes yeux vont de sa figure à la figure du lion. Ces gens-là ont entre eux des rapports secrets, je le sens bien. À eux deux ils composent la plus impénétrable fantasmagorie…

Quand il m’a montré, avec une excitation extrême, un flot de paroles et son rire de l’autre monde, toutes les fibules, les vases lacrymatoires, les poteries, le nain m’amène devant une vitrine. Là dedans, parmi cent objets, il y a un couteau d’os sculpté. L’artiste a figuré un lièvre lancé en une fuite éperdue, et, derrière lui, un chien mince, allongé, qui le happe. Le mouvement des deux bêtes a une violence inouïe. Le point extrême de l’épouvante et du désir est saisi, fixé avec une énergie prodigieuse. Ce manche de couteau est vif comme une flèche. Le nain tourne autour de moi, piétine, enfin empoigne mon bras et le secoue : « Vous trouvez ça beau, hein, c’est beau ? » — Sa joie trépidante me persuade qu’il a bien connu l’artiste dont la main prudente et audacieuse grava l’admirable couteau. C’était un de ses amis. Il le lui a vu faire peut-être, là-bas, à Rome, pour quelque patricien amoureux de formes exquises. Tout à coup, le gnome réfléchit, cesse son piétinement, et, comme s’il se rappelait une consigne un moment oubliée, se tient tranquille et prononce d’un air grave : « L’Empereur est venu ici. Il a remarqué ce couteau. Lui