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ratisbonne

En creusant le sol pour construire la gare, on a rencontré un fragment de ville et un cimetière romains : Ratisbonne : Augusta Tiberii, Castra Regina, puis Ratisbona, fut, personne ne l’ignore, fondée au temps de Tibère — cippes, pierres tombales, inscriptions, urnes cinéraires, et mille objets familiers, sont réunis proche de la cathédrale, dans la petite église de Saint-Ulrich devenue musée. Les sculptures, la plupart de mauvais style et d’une exécution barbare, n’ont guère de beauté. Cependant, parmi les morceaux de ces tombes découvertes en une telle circonstance, j’éprouve cette sensation complexe de regret et de désir, d’immense lassitude et de courage que m’apportent toujours lorsqu’on les prononce devant moi ces deux mots enivrants et tristes : la vie

On a voulu faire une gare. Une gare ! L’endroit où nous sentons mieux qu’ailleurs le mouvement continuel, qui désintègre, déracine, disperse, nous chasse de nous-mêmes, nous mêle, nous transforme. Et pour construire le temple précaire de l’écoulement, de la métamorphose, il a fallu que l’on remuât et dispersât les cendres ignorées, qui reposaient depuis dix-neuf siècles. Cela fait une antithèse, facile évidemment jusqu’à l’extrême banalité. Mais les antithèses faciles ne sont pas les moins puissantes à créer le rêve…

Je me promène parmi ces pierres sous la surveillance d’un petit homme, presque un nain, dont la grosse tête à joues gonflées, à peau huileuse et jaune, accuse un type nettement oriental. Les yeux