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un voyage

que nulle part on rencontre pareille quantité de cloîtres. Il y en a partout, jusque dans le palais du prince de La Tour et Taxis. Quand on s’est promené quelques heures, on arrive à se représenter nettement ce qu’étaient les villes anciennes, où les monastères tenaient tout le sol, la religion toutes les âmes, les prêtres toutes les affaires. Les maisons modernes semblent un décor précaire ; la réalité durable, ce sont les couvents. On les imagine rejoints, ouverts les uns sur les autres, comme les veines où circule le sang, où la vie et la mort font leurs échanges, leurs compromis, leurs métamorphoses.

La cathédrale est admirablement belle, d’une beauté laïque, si on peut dire. Elle paraît plutôt un immense hôtel de ville orgueilleux, qu’une église. Une exquise chapelle est à ses pieds presque attachée à elle par son cloître. De la place médiocrement large qui tourne autour, on ne voit nulle part dans son ensemble la grande église, et à cause de cela on la ressent mieux. C’est jour de marché. Des gens de campagne, juchés sur le soubassement, dévorent leurs saucisses, leurs pommes vertes. Des bouts de journaux servent de nappe. Ils sont nombreux ; la ceinture bougeante qu’ils mettent au fier monument achève son aspect.

J’entre par le côté solitaire. Le cloîtré, et des maisonnettes anciennes ferment une petite cour dont les dalles sont joliment sorties d’herbe. L’intimité, le secret recueilli de ce lieu pénètrent le cœur d’un calme suave. On se sent tout petit entre ces murs