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un voyage

la tumultueuse famille, deux sœurs. L’une, c’est Aurore. En la nommant ainsi, il semble qu’on ait prévu sa lumineuse beauté, son charme frais et léger, son invincible gaieté.

Comme Philippe, elle a hérité de toutes les grâces de sa mère. Des Kœnigsmark, elle prend le goût d’agitation et de mouvement, l’insouciance singulière, et ce dédain des lois communes, cet instinct anarchique, inconscient et fort, qui circule à travers sa race, s’endort un moment pour éclater plus vif, et qui explique si bien les actes de ces gens extraordinaires. L’ancêtre Christophe-Jean, ce virtuose du meurtre et de la licence effrénée, ne s’était pas en vain amusé pendant la guerre de Trente Ans.

Élevée dans le château d’Agathenbourg que ce redoutable seigneur avait bâti avec l’argent du pillage, Aurore avait mille talents. Elle peignait, parlait quatre langues, aussi purement que sa langue maternelle, — s’il faut en croire Voltaire ; jouait du luth à ravir, savait l’histoire et l’astronomie, — mais, non l’orthographe, toutefois ; — faisait des vers français, des poèmes d’opéra ; même elle écrivit un drame en trois actes, Cecrops. À cause de sa voix merveilleuse, et de ses vocalises parfaites, on l’appelait le « rossignol suédois ». Pleine de vive imagination, et d’un goût raffiné, elle s’entendait comme personne à inventer des fêtes.

Avec tout cela, elle connaissait l’art de mener sagement une maison. Il paraît que l’on garde encore le registre où elle tenait un compte exact de la viande,