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moritzbourg

de tourner autour du château, d’admirer la mélancolie dont ses étangs le parent, le rythme ferme de ses lignes, son ampleur, et sa distinction souveraine. J’ai le droit enfin d’aller : voir manger les bêtes !

Ces bêtes, ce sont, dans un coin de forêt, je ne puis dire combien de sangliers, de cerfs et de biches auxquels, chaque demi-heure, les gardes jettent de la nourriture afin de divertir les promeneurs.

Je voudrais bien qu’un jour quelqu’un m’expliquât pourquoi c’est amusant de voir manger les animaux ! Une bête qui dort, marche ou vole, souvent on ne la regarde pas ; elle mange : aussitôt on s’intéresse ! Lorsqu’on veut récompenser un mioche, on le mène voir manger l’éléphant, et il le regarde avec un plaisir intense et grave. Sans doute, l’éléphant est une étrange bête, mais les petits contemplent, aussi pleins de curiosité rêveuse, le chien du logis lapant sa soupe. Et nous ? Presque tous nous nous arrêtons, un peu hypnotisés par la bête qui mange. Est-ce un réveil équivoque de l’ancêtre primitif, pour qui l’animal en pâture était plus facile à tuer, et partant sujet de plaisir ? Est-ce au contraire la charitable et douce illusion que ces captifs, ces vaincus, jouissent de quelque bonheur au moins à la minute de leur repas ? Non, c’est quelque chose de plus mystérieux. Mais, ce que c’est, comment le savoir ?

Tant de cerfs et de sangliers apportent davantage encore que le château, les étangs et les arbres, le souvenir des fabuleuses chasses de Cranach. Il y a